Primé à l'étranger où il a été fort bien accueilli, La Donation du cinéaste Bernard Émond arrive enfin sur les écrans québécois. Mais ce sont d'abord les cinéphiles du Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue qui pourront découvrir, samedi, ce troisième volet de la trilogie.

Il était tout à fait normal qu'Émond se pointe à Rouyn-Noranda pour y projeter son film en première québécoise, oeuvre qui correspond au troisième volet de sa trilogie suivant  La Neuvaine et Contre Toute Espérance, où il parle de vertus théologales, de foi, d'espérance et de charité.

Émond a admis récemment avoir une dette envers les gens du nord-ouest québécois, puisque c'est dans cette région qu'il a imaginé ce film. «Le scénario du film, a-t-il raconté, a été pensé alors que je me trouvais en Abitibi-Témiscamingue, dans une région austère et touchante à la fois, avec sa partie rurale, une communauté généreuse.»

Comme point d'ancrage, Normétal, ville minière, qui comptait 2500 habitants il y a une trentaine d'années, avant que la mine ne ferme. Un drame social qui touche ces endroits désignés autrefois comme «villes monoindustrielles».

«C'était une région défraîchie il y a 75 ans à peine et qui retourne en friche après l'épuisement de la ressource, a analysé l'ex-anthropologue. Arrive ainsi la fin d'une histoire québécoise, comme c'est le cas dans des régions périphériques du Québec, sur la Côte Nord ou en Gaspésie» a précisé Émond.

«L'activité économique détermine tout au détriment des liens humains, a-t-il déploré. Mais la communauté demeure. En 30 ans, Normétal a perdu les deux tiers des habitants mais 900 personnes y vivent encore.»

Dans ce contexte, il est toujours difficile de maintenir les services essentiels, à commencer par la présence d'un médecin. Et dans le film, le docteur Yves Rainville (Jacques Godin) tient le fort depuis plus de 40 ans mais il est temps pour lui de penser à la retraite.

C'est là qu'entre en scène Jeanne Dion (Elise Guilbault) qui était dans La Neuvaine, le premier film de la trilogie. Dans ce volet, l'urgentologue avait tenté de s'enlever la vie à Sainte-Anne-de-Beaupré.

Cette fois, Jeanne, qui aimerait se dire que la vie vaut la peine d'être vécue, accepte d'aller remplacer temporairement le médecin. Elle se rendra vite compte que ce rôle est plus grand que nature en région éloignée, ne serait-ce que par la proximité avec les patients, dans ces endroits où tout le monde se connaît.

«Jeanne veut construire son existence, elle est passée près du suicide et elle cherche à donner un sens à sa vie, a indiqué Émond. Elle va le trouver dans le don, dans le fait d'aller vers les autres.»

«Elle se retrouve face à son destin et un autre médecin lui lègue sa vie, dira Elise Guilbault en entrevue. Le docteur Rainville lui dira «J'ai une façon de pratiquer, d'atteindre les autres, d'être attentif aux autres, d'avoir la patience, d'avoir de l'empathie. Et je te demande de répondre à  ton devoir d'exploiter ton talent dans une région où il y a beaucoup de souffrance'.»

L'urgentologue montréalaise sera confrontée à un choix déchirant. «Alors, il y a une question existentielle. Je pars oui ou non. Moi, face à cette demande. L'idée de charité est très intéressante comme questionnement. Elle doit trouver une vraie réponse. Elle devra se projeter dans l'avenir dans un autre contexte», a ajouté celle qui campe le rôle de la femme médecin.

Jeanne sera sensible à l'appel du vétéran médecin pour prendre la relève, ce qui nous renvoie aussi à l'importance de la transmission des valeurs de la société alors que la religion est presque disparue et que l'on cherche nos repères.

«L'idée est de trouver quelque chose pour remplacer ce grand vide quand on a répudié, la religion», a enchainé le cinéaste. Le film contient d'ailleurs de nombreuses références à la religion.

«Oui, mais ma conclusion est parfaitement laïque, a averti le réalisateur. Que l'on soit croyant ou non-croyant, le sens à donner à la vie ne peut se faire qu'en donnant, en allant chez les autres.»

Pour les besoins du film, Bernard Émond a embauché, parmi les figurants, de nombreux résidents de la région, collés au dur vécu quotidien.

Malgré les interrogations de bien des gens face à l'avenir, et le côté parfois pessimiste qui se dégage de ses films, Émond demeure optimiste.

«Si j'étais complètement pessimiste, je ne ferai pas de films. Si j'en fais, c'est parce que je crois qu'on peut changer les choses, qu'on n'est pas impuissant» a-t-il conclu.

En Suisse, La Donation a mérité trois prix dont le «Don Quichotte», remis par la Fédération internationale des ciné-clubs du Festival de Locarno.

Au Festival international du film de Toronto, à la mi-septembre, Émond a présenté son long métrage en première canadienne.

Et samedi, il sera heureux de dédier son film aux abitibiens. Le président de ce festival, Jacques Matte, prévoit d'ailleurs un accueil chaleureux pour ce film qui selon lui «donne une image formidable de la région».

La Donation prendra l'affiche au Québec le 6 novembre dans au moins 15 salles obscures.