«Je pars toujours des personnages, jamais de l'histoire. Mettre des personnages dans une histoire, c'est comme essayer de faire rentrer un pied qui fait du 7,5 dans une chaussure de taille 5,5. Il vaut mieux partir du pied et construire la chaussure autour. Faire du sur mesure.» C'est le secret, non, l'un des secrets du réalisateur Philippe Lioret. C'est ainsi qu'il a bâti Welcome.

Le point de départ: une conversation qu'il a eue avec Olivier Adam, son coscénariste pour Je vais bien, ne t'en fais pas, son film précédent. «C'est lui qui, un jour, m'a parlé de son passage à Calais, où il donnait des ateliers d'écriture. Il a évoqué les Kosovars qui se trouvaient là, illégalement», raconte le réalisateur joint chez lui, à Paris.

La conversation s'est limitée à cela. L'homme de lettres est par la suite parti au Japon. Mais l'idée, la possibilité d'histoire, n'a pas quitté Philippe Lioret. Il s'est rendu à Calais, en compagnie du scénariste Emmanuel Courcol. «J'ai vu là notre frontière mexicaine à nous, se souvient-il. Il y avait un film formidable à faire, une histoire dingue à raconter. À condition de trouver des personnages.»

Pour cela, il a rencontré des Kurdes, jeunes et vieux, parqués là depuis trois mois, quatre, cinq. Espérant traverser vers l'Angleterre. (Sur) vivant en partie grâce à des bénévoles. Ce sont eux qui lui ont parlé d'un adolescent de 17 ans dont le but était d'aller retrouver sa petite amie, de l'autre côté de la Manche. Et de ces jeunes gens qui tentaient de traverser la mer à la nage. À la nage.

Ainsi est né le personnage de Bilal, lequel aurait le même but, aller rejoindre son amour; et qui, pour cela, tenterait le même geste désespéré. Pour le préparer à cet exploit fou, un autre personnage. Simon, maître nageur. Mi-quarantaine. Acculé au mur: sa femme, qu'il aime encore mais dont il est séparé, a demandé le divorce et ils doivent passer devant le juge pour signer les papiers. Cul-de-sac. Pour de mauvaises raisons - montrer que lui aussi peut tendre la main (car elle est bénévole auprès des sans-papiers) - il va aider Bilal. Mais il va se laisser prendre à son propre jeu, mettre la main dans un engrenage émotif dont il ne pourra, ni ne voudra, s'échapper.

Lindon conquis 

Pour incarner Simon, Philippe Lioret a pensé à Vincent Lindon. Acteur au talent plus grand que nature qui possède l'art de se faire monsieur Tout-le-Monde. Ils voulaient travailler ensemble depuis longtemps, ont partagé un repas, parlé du projet. «Il m'a dit: «Tope là. Ce film, on le fait ensemble, je ne veux même pas lire le scénario.»»

Ne restait qu'à trouver (!) des Kurdes, dont un tout jeune homme capable de donner la réplique à Vincent Lindon. «Nous sommes allés à Istanbul, à Berlin, à Londres, à Oslo... partout où il y a de grosses colonies kurdes», raconte le réalisateur. Ils ont engagé des hommes, des femmes. Mais leur Bilal, ils l'ont finalement trouvé en France. Firat Ayverdi, arrivé dans l'Hexagone quand il avait 6 ans. Pas acteur. Pas encore. Il l'est devenu.

«Le premier jour de tournage, je l'avoue, je tremblais: j'avais trop d'acteurs qui n'en étaient pas. Mais j'avais beaucoup travaillé en amont avec eux, ils étaient en confiance et tout s'est bien passé.» Même scénario entre Vincent Lindon, le pro, et Firat Ayverdi, le nouveau venu. «Pendant deux jours, on se rendait compte qu'ils ne venaient pas du même creuset. Au bout du troisième, ils étaient à la même enseigne.» Celle de l'histoire qu'ils racontaient.

Sujet délicat 

Et cette histoire, n'est pas celle qu'en ont fait les médias en France, quand ils l'ont sortie des pages culturelles pour la coller dans les pages société. «La presse a trouvé qu'il y avait plus de grain à moudre en parlant de la situation des illégaux. J'ai été interviewé comme si j'étais un homme politique ou un législateur. Le film a été projeté à l'Assemblée nationale et a été à l'origine d'une demande de modification à la loi sur l'aide aux personnes en situation irrégulière.»

Philippe Lioret a aussi été pris à partie par le ministre de l'Immigration, Éric Besson, qui a estimé que le réalisateur avait «franchi la ligne jaune» en comparant la situation des clandestins aujourd'hui en France à celle des Juifs sous l'Occupation. Ce à quoi le principal intéressé répond: «Welcome n'est pas un pamphlet politique. C'est deux histoires d'amour contrariées qui se heurtent à l'ordre absurde du monde.»

Absurde, dit-il. Et de dire sa honte de ce pays, le sien, qui a déjà été grand en ce qui concerne les droits de l'homme. «J'aime pas ce monde, conclut-il. Je préfère me réfugier dans la fiction.» Écrire à son bureau, un cigare aux lèvres, son petit jardin de curé sous les yeux. C'est là qu'il travaille à son nouveau scénario. Inspiré de la deuxième partie de D'autres vies que la mienne d'Emmanuel Carrère. Où il retrouvera Vincent Lindon, pour lequel il taille un nouveau personnage. Sur mesure, bien sûr.

Welcome prend l'affiche le 20 novembre.