La dernière édition du Journal of Marketing doit circuler beaucoup depuis quelques jours dans les studios d'Hollywood. Des chercheurs y proposent une formule mathématique pour prédire le succès d'une suite au box-office.

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Plus précisément, ils comparent les recettes d'une suite à celles d'un film de budget et de style équivalent. Cela leur permet d'isoler la «valeur ajoutée» de la suite. Et cette valeur est importante. Pour simplifier: suite de film = grosse piastre. L'originalité paie moins.

Des exemples? Faire un deuxième Spider-Man a rapporté 53 millions US de plus à Columbia Pictures que si elle avait fait une méga production originale du même genre. Et New Moon, le deuxième film de la saga Twilight, devrait rapporter 33 millions US de plus qu'un autre long métrage original sur des suceurs de sang juvéniles.

Pour estimer les recettes d'une suite, quatre facteurs sont déterminants, explique un des trois chercheurs, le professeur de marketing Mark B. Houston.

«Le plus important, c'est la notoriété du film original, raconte-t-il au téléphone de son bureau de la Texas Christian University. Viennent ensuite l'étendue de la distribution et la continuité. Par exemple, si les mêmes stars reviennent, si les deux films ne sont pas trop espacés dans le temps et si on garde le même réalisateur, le même scénariste et ultimement, le même ton.»

Un exemple à éviter, selon lui: Terminator Salvation. «Ce n'était pas un échec au box-office, mais les résultats restent en deçà des attentes. Le nouveau Terminator avait perdu ses vedettes comme Schwarzenegger, et on a changé le réalisateur et les auteurs. La franchise de Terminator a d'ailleurs récemment été mise en vente. Ça ne me surprend pas.»

La peur du risque

Autres conclusions de l'étude: les suites sont plus rentables et moins risquées financièrement. Cela s'explique entre autres parce que les gens qui manquent le premier film au cinéma peuvent se reprendre avec le DVD. Le public intéressé par la suite augmente donc.

«Les gens d'Hollywood sont très intelligents, observe le prof Houston, mais ils fonctionnent beaucoup par intuition. Et l'intuition, ce n'est pas ce qui rassure le plus les actionnaires, surtout dans le contexte économique actuel. Je reviens d'un congrès sur le cinéma à l'université UCLA, et je pense que nos données commencent à intéresser l'industrie.»

Évidemment, l'étude propose un calcul de probabilité, et non une loi de cause à effet. Elle utilise comme échantillon les 101 suites de films américains tournées de 1998 à 2006. Chacune était comparée à un film original équivalent (budget, promotion, distribution, vedettes à l'écran, etc). Les troisièmes, quatrièmes et autres suites ont été laissées de côté, car le calcul statistique devenait trop hasardeux.

La méthode froissera sûrement les gardiens du temple de l'art. Elle assimile les films originaux à des marques, et leurs suites à des extensions de cette marque. «Un peu de la même façon que le shampoing Dove est l'extension de la marque du savon Dove, illustre Mark Houston. C'est un concept connu en marketing, mais à notre connaissance, nous sommes les premiers à l'utiliser pour les suites de films.»

Le Québec, cette exception

Si M. Houston a trouvé une règle, le Québec constitue l'exception. Selon les données compilées par Cinéac pour La Presse, la grande majorité des suites québécoises récoltent moins d'argent que le film original. Et ce, même sans indexer les montants à l'inflation.

«Quand on fait une suite au Québec, de façon générale, on espère récolter environ 70 % des recettes du premier film», observe Caroline Héroux, productrice de la série À vos marques... Party! et du prochain long métrage inspiré de Lance et compte.

Patrick Roy, président du distributeur Alliance Vivafilm, propose une explication. «À Hollywood, on tourne surtout des suites pour les films d'action. Avec plus de budget et d'effets spéciaux, on peut attirer plus de gens pour le deuxième film. Mais au Québec, les suites sont plutôt pour les comédies et parfois les drames. Dans ces cas-là, il est un peu plus difficile de revamper la formule et surprendre.»

Le risque québécois

Les suites sont-elles également moins risquées au Québec? Patrick Roy et Caroline Héroux l'admettent du bout des lèvres. «Le risque ne disparaît jamais. Mais peut-être que c'est un peu plus facile de convaincre les propriétaires de salle de présenter une suite, concède le distributeur. Mais ce qui compte vraiment, c'est la qualité du produit. Un bon film se vend bien.»

«Pour le financement, ça dépend, ajoute la productrice. C'était plus facile d'obtenir du financement privé pour le deuxième À vos marques.... Mais pour le financement public, c'était plus difficile, je pense.»

Les deux films ont reçu 350 000 $ de la SODEC. Et même si rien n'est confirmé, elle songe déjà à produire une suite pour Noémie - Le secret, qui prendra l'affiche en décembre.

Les calculs du prof Houston permettraient-ils de prédire les chances de succès du deuxième Noémie et des autres suites québécoises?

Sans vouloir trancher, Patrick Roy estime que les facteurs identifiés dans l'étude semblent valides. «Peut-être que ça pourrait expliquer pourquoi Cruising Bar 2 a connu quelques difficultés, réfléchit-il. Il y avait beaucoup de temps entre les deux films. Le public n'a pas oublié le premier, mais son souvenir a changé. Il a fini par l'idéaliser un peu, ce qui pourrait expliquer la déception de certains.»