À Paris depuis quelques jours afin de préparer la prochaine Semaine du cinéma du Québec (au Forum des Images du 7 au 13 décembre), Carole Laure n’a appris le décès de son mentor que dans la nuit de samedi à dimanche.

«Bien entendu, cela m’attriste, a-t-elle déclaré au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse. Mais on s’y attendait quand même. Compte tenu des souffrances qu’il a endurées, c’est probablement pour lui une délivrance.»

Elle fut la muse, la compagne. Leur couple a pris des allures mythiques dans les années 70. De La mort d’un bûcheron jusqu’à Maria Chapdelaine, leur complicité artistique s’est étalée sur dix ans.

«Gilles fut mon université, soutient l’actrice et cinéaste. J’ai tout appris avec lui. Il m’a dit très vite qu’il était certain que je passerais à la mise en scène un jour.»

La vie de Carole Laure a basculé le jour où un homme attablé dans un restaurant italien l’a finalement abordée après l’avoir observée pendant un moment.

«Je ne connaissais pas du tout cet homme; je ne connaissais rien au cinéma, rappelle-t-elle. C’était le cliché parfait. Gilles s’approche et me dit «mademoiselle, vous avez une gueule de cinéma, j’aimerais faire des essais avec vous.»

À l’époque, Gilles Carle était en train de préparer La vraie nature de Bernadette. Et cherchait celle qui allait camper le rôle titre.

«On riait toujours beaucoup quand on évoquait le jour où je me suis présentée au rendez-vous. Gilles m’a d’abord fait faire des essais devant la caméra. Puis, il m’a demandé – avec son petit air espiègle – si j’avais de beaux seins. Et si je pouvais les lui montrer. J’étais très timide, très pudique. Alors je lui en ai «flashé» un très vite en lui disant que l’autre était pareil!, s’esclaffe-t-elle.

«Gilles ne m’a pas donné le rôle de Bernadette car il estimait que je ne serais pas crédible dans la peau d’une fille de la ville qui s’installe à la campagne. Il m’a toutefois alors annoncé qu’il allait écrire son prochain film pour moi, l’histoire d’une fille de la campagne qui arrive en ville. Il a dit qu’il me voyait sortir de l’autobus avec des patins accrochés autour de l’épaule. C’était la première scène de La mort d’un bûcheron

L’amour s’en est aussi mêlé. Les films furent alors écrits sur mesure. La tête de Normande St-Onge constitue certes le point culminant de leur relation intime et professionnelle.

«Gilles était très amoureux, confie Carole Laure. Quand nous étions ensemble, il me disait souvent qu’il voulait "rentrer" dans ma tête. L’homme était passionné et passionnant. Il m’a aussi fait découvrir tout un monde, peuplé d’artistes fabuleux: Gaston Miron, Arthur Lamothe et tant d’autres. Il était curieux de tout. Il aimait sillonner la ville à pieds. Je ne sais plus combien d’heures et de jours j’ai dû marcher à ses côtés. Il me faisait découvrir plein de racoins que je ne connaissais pas, avec, toujours, son esprit d’artiste. Il avait une caméra à la place des yeux. Sa vision était à la fois poétique et politique.»

Puis, un soir où Gilles s’adonnait au jeu d’échecs avec son groupe, un passe-temps qu’il affectionnait particulièrement, la vie de Carole a chaviré une nouvelle fois.

«J’étais jeune. Gilles m’invitait à un endroit où se rendaient uniquement des hommes plus âgés, tous concentrés entièrement sur leur jeu. Personne ne faisant attention à moi, je me suis rendu à l’hôtel Nelson en attendant. Un certain Lewis Furey y jouait…»

La séparation fut dure. Dans L’ange et la femme, Gilles Carle a filmé la femme qu’il aime s’abandonner dans les bras de l’homme de qui elle était tombée follement amoureuse.

«Gilles me disait qu’il voulait toujours faire des films avec moi, rappelle Carole Laure en plongeant dans ses souvenirs. Que son amour allait jusque-là. Vous savez, il était non seulement un artiste brillant et extrêmement charmeur, mais il était aussi d’un romantisme fou. Les plus belles lettres d’amour que je n’ai jamais reçues viennent de lui. Tous les gestes attentionnés qu’il posait étaient à la hauteur de son talent. Cet homme m’a profondément marquée. Il a orienté toute ma vie. Je lui dois tout.»

«J’ai aujourd’hui, ajoute-t-elle, une pensée pour sa famille, de même que pour Chloé bien sûr. Qui a accompagné Gilles de façon tout à fait admirable pendant toutes ces années.»