Même si, au départ, il ne connaissait rien à la monarchie britannique, Jean-Marc Vallée s’est laissé tenter par l’aventure cinématographique que lui ont proposée les producteurs de The Young Victoria. Il ne l’a pas regretté.

D’entrée de jeu, Jean-Marc Vallée affirme que The Young Victoria est un film «réalisé par» lui et non un film «de» lui. «Il y a là une nuance importante, affirme le cinéaste au cours d’une entrevue accordée à La Presse.

C’est d’ailleurs la mention qui apparaît au générique. Il s’agit plus ici d’un travail d’équipe. Je n’avais pas le pouvoir décisionnel sur tout. J’ai peut-être un peu naïvement cru au début que je pourrais en faire un film plus personnel mais je n’ai pas pu gagner toutes mes batailles, même si je savais très bien dans quoi je m’embarquais. Cela dit, je reste très fier de ce film et je le revendique totalement. Je l’ai revu récemment de façon plus détachée et, très franchement, je le trouve beau, bien fait. Tous les artisans ont fait un travail remarquable.»

À ses yeux, The Young Victoria n’a pourtant rien non plus du film «de commande», dans la mesure où Vallée a quand même pu mettre son gros grain de sel dans les décisions créatives, particulièrement sur le plan de la réalisation.

«J’ai réalisé ce film avec la même passion que les autres, dit-il. J’y ai mis autant de moi, autant de sueur et de sang. Les producteurs n’étaient pas derrière à regarder par-dessus mon épaule. C’est surtout à l’étape du montage qu’ont eu lieu les discussions.»

L’idée d’évoquer à l’écran les jeunes années de la reine Victoria est venue de la duchesse d’York Sarah Ferguson (voir encadré). Qui a dû attendre une quinzaine d’années avant de voir son projet se concrétiser enfin.

Contrairement à la duchesse, Jean-Marc Vallée ne connaissait toutefois rien à la monarchie britannique avant de donner son accord pour signer la réalisation de ce film. «Je n’avais aucune attirance naturelle, ni pour la famille royale, ni pour le film d’époque, dit-il. J’ai dû devenir un expert par la force des choses. J’ai pu m’appuyer sur les recherches d’un assistant personnel dont le mandat était de lire à plein temps. Je voulais être assez renseigné pour être confiant au moment du tournage. Il fallait aussi que je devienne incollable afin de pouvoir répondre de façon adéquate aux questions des acteurs. J’ai été très bien entouré par la production.»

Une équipe solide

La composition de cette équipe de production a d’ailleurs pesé lourd dans sa décision de se lancer dans pareille aventure.

«Je dois dire que je ne me suis pas trop posé de questions le jour où cette proposition est tombée. Graham King et Martin Scorsese comme producteurs; un scénario de Julian Fellowes, à qui l’on doit notamment Gosford Park, et la possibilité de réaliser un film en Angleterre avec des moyens conséquents. J’ai aussi pu emmener des collaborateurs québécois avec moi, qui ont dirigé les opérations à titre de chefs de département. C’était drôle. Nous étions trois Québécois à pouvoir donner des ordres à des Britanniques! Comme le respect de la hiérarchie est une valeur importante là-bas, on nous traitait aux petits oignons!»

Le récit s’attarde à décrire quatre années dans la vie de celle qui devait régner sur l’Angleterre pendant 63 ans.

Emily Blunt (The Devil Wears Prada), remarquable, se glisse ainsi dans la peau d’une adolescente qui, à l’âge de 18 ans, accède au trône. Et tente progressivement d’installer son autorité, malgré tous les jeux de pouvoir qui ont lieu dans sa cour. Surtout, Vallée trace ici le portrait d’un amour, celui qu’éprouve la jeune femme pour le prince Albert (Rupert Friend).

Le film bénéficie aussi de l’apport d’une distribution remarquable, parmi laquelle se distinguent notamment, outre les deux acteurs principaux, Miranda Richardson, Jim Broadbent, Paul Bettany et Mark Strong.

Une manière hollywoodienne

Tourné en Angleterre, souvent dans des lieux historiques, Vallée s’est ainsi payé un «trip» de cinéma.

«Même s’il a entièrement été réalisé là-bas, il reste que ce film est quand même issu de la machine hollywoodienne et en utilise la manière, fait-il remarquer. Il y a toutefois moyen de s’amuser à l’intérieur de ce cadre-là. C’est ce que j’ai fait. Personnellement, j’aurais aimé laisser respirer le film un peu et lui donner une dizaine de minutes de plus. Mais les Américains n’aiment pas le silence. Dans leur esprit, il vaut toujours mieux arriver dans une scène le plus tard possible et repartir au plus tôt!»

Cette aversion du silence se reflète aussi dans l’utilisation de la musique. La trame sonore, omniprésente, n’est pas tout à fait celle qu’aurait souhaitée Vallée. Quand on sait l’importance qu’accorde le réalisateur de C.R.A.Z.Y. à l’aspect musical de ses films, point n’est besoin d’être fin limier pour deviner que cette bataille-là fut particulièrement douloureuse.

«J’ai préparé des compilations musicales, destinées à tous les acteurs individuellement. J’ai fait entendre à Emily beaucoup de pièces classiques, du Schubert notamment. À la fin, elle réclamait même ses pistes! Je faisais aussi jouer beaucoup de musique sur le plateau, particulièrement des airs d’opéras. Du Sigur Ros aussi. J’aurais d’ailleurs aimé que le groupe signe la trame musicale du film mais j’ai perdu cette bataille-là. J’avoue que cette défaite a été plus dure à prendre. J’ai eu beaucoup de difficulté à lâcher prise, à vrai dire. Mais à l’arrivée, on se fait une raison. Et l’on se demande si, ultimement, chaque bataille sert bien le film. Elle est là, la leçon.»

S’il n’a pu toujours avoir le dernier mot sur les décisions à l’étape du montage, Jean-Marc Vallée estime néanmoins que The Young Victoria constitue sa plus belle expérience professionnelle jusqu’à maintenant.

«J’ai été très heureux sur ce tournage. On m’a donné tous les outils nécessaires. Une occasion de cette nature se représenterait demain et je l’étudierais avec grande attention.»

Il n’aura pas eu à attendre très longtemps.

Hollywood Reporter a annoncé cette semaine que le cinéaste québécois serait à la barre de Lost Girls and Love Hotels, une adaptation cinématographique d’un roman de Catherine Hanrahan. La tête d’affiche sera Kate Bosworth.

Jean-Marc Vallée a aussi reçu récemment l’aval de la SODEC et de Téléfilm Canada pour son projet Café de Flore, un film personnel qu’il souhaite élaborer en coproduction avec la France.

The Young Victoria (Victoria – Les jeunes années d’une reine en version française) prend l’affiche le 18 décembre.

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