À la mort de Heath Ledger, survenue au beau milieu du tournage, Terry Gilliam ne pouvait concevoir poursuivre l'aventure de The Imaginarium of Doctor Parnassus. Sur l'insistance de ses proches, le cinéaste anglais a cependant trouvé le moyen d'honorer la performance de l'acteur.

Terry Gilliam est sans contredit l'un des esprits créatifs les plus foisonnants du cinéma mondial. Pourtant, le réalisateur de Brazil doit souvent faire face à l'adversité.

 

Son parcours est jalonné de projets baroques dont les gestations furent souvent très longues. Certains ne se sont pas rendus à terme. Un documentaire remarquable, Lost in la Mancha, relatait notamment toute l'aventure - première époque - de The Man Who Killed Don Quixote, un film dont le tournage fut abruptement interrompu en raison de la maladie de sa vedette Jean Rochefort.

«Je ne dirais pas que le trouble me suit, mais disons que j'ai eu ma part de difficultés! a dit le cinéaste en riant au cours d'une interview accordée à La Presse au Festival de Toronto. Mes films ne commandent pas de budgets hollywoodiens. Pourtant, on dirait que le financement pour des longs métrages de 20 millions de dollars est plus difficile à obtenir que pour une superproduction qui en coûte 10 fois plus! Dans le contexte économique actuel, les décideurs jouent aussi de prudence. Mes films sont inclassables à leurs yeux mais heureusement, je réussis à attirer des vedettes dans mes projets!»

The Imaginarium of Doctor Parnassus est le premier scénario original que porte Gilliam à l'écran depuis The Adventures of Baron Munchausen, il y a plus de 20 ans. L'auteur cinéaste pensait bien pouvoir mener son projet à bon port sans devoir traverser trop de tempêtes.

«J'étais bien, j'étais calme, j'étais heureux, dit-il. Fellini était dans cet état d'esprit quand il a tourné Amarcord, et Bergman aussi pour Fanny et Alexandre. Mais moi, les troubles ont commencé. Comme quoi on ne peut jamais se fier!»

Une mort tragique

En plein milieu du tournage, alors qu'il n'a tourné que la moitié des (nombreuses) scènes dans lesquelles il figure, Heath Ledger, star du film, meurt. Gilliam a dû faire un double deuil. Celui d'un homme talentueux avec qui il entretenait d'excellents rapports professionnels d'abord; celui de son film ensuite.

«D'aucune manière je ne pouvais songer à poursuivre le tournage, rappelle-t-il. Dans mon esprit, il était hors de question de faire appel à un autre acteur pour remplacer Heath. J'arrêtais le film. C'était aussi simple que ça.»

L'entourage du cinéaste s'en est mêlé. On estimait que le travail de l'acteur était trop précieux pour ne pas lui faire honneur.

«Je me suis finalement laissé convaincre qu'il y avait, dans le scénario, une ouverture permettant peut-être de trouver une solution qui s'inscrirait dans la logique du film. Le personnage qu'incarne Heath traverse en effet le miroir magique trois fois afin de se rendre dans un univers parallèle. J'ai donc téléphoné à trois amis de Heath, des acteurs avec qui je savais qu'il entretenait des liens d'amitié, et je leur ai fait la proposition. Ils ont dit oui tout de suite. Je trouvais important de faire appel à des acteurs de qui Heath était proche.»

Trois amis à la rescousse

Johnny Depp, Jude Law et Colin Farrell sont ainsi venus à la rescousse, se glissant dans la peau d'un seul et même personnage, décliné en trois dimensions différentes.

Les quatre acteurs prêtent ainsi leur visage à Tony, un jeune homme qui traversera le «miroir magique» afin d'aller rejoindre l'univers d'imaginations et de merveilles offert au public par Imaginarium, une troupe de théâtre ambulant que dirige le Dr Parnassus (Christopher Plummer).

«Je ne me sens plus le droit d'affirmer qu'il s'agit de mon oeuvre, laisse tomber Terry Gilliam. La mort de Heath a eu un impact sur la nature même du film. Je n'avais plus contrôle sur rien. Les changements apportés furent si profonds que tout le projet en fut bonifié, à vrai dire. J'aurais même voulu donner un crédit de coréalisation à Heath tellement son apport - même dans sa mort - fut majeur. Finalement, nous avons opté pour «Heath Ledger et ses amis». C'est plus juste.»

Le cinéaste rappelle en outre l'énergie contagieuse laissée par l'acteur sur le plateau.

«C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai tenu à faire appel à des proches, précise-t-il. L'amour que nous ressentions tous pour Heath était aussi une grande source de motivation. Il nous poussait à mener ce film à terme malgré tout. Colin Farrell avait parfois l'impression d'être carrément possédé par l'esprit de son ami pendant qu'il jouait!»

Terry Gilliam est aujourd'hui fier du résultat.

«Je suis d'autant plus heureux que ce film permet à Heath de rester avec nous encore un peu plus longtemps. Je trouve très émouvant de le voir, de même que ses trois amis qui sont venus secourir le film pour faire honneur à son talent. C'est un bel acte d'amour.»

L'auteur cinéaste est par ailleurs entré dans la «deuxième époque» de The Man Who Killed Don Quixote. Le projet a récemment été extirpé de ses cendres. Robert Duvall reprendrait le rôle que devait tenir Jean Rochefort.

«Nous avons complètement remanié le scénario, dit Gilliam sans rien ajouter. En fait, je sais où je veux tourner, les endroits sont choisis. Il ne nous reste plus qu'à trouver du financement!» conclut-il dans un grand éclat de rire.

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The Imaginarium of Doctor Parnassus (L'imaginarium du Dr Parnassus en version française) prend l'affiche le 25 décembre.