Fruit de dix ans de travail et de centaines d'heures d'entretiens avec le numéro deux des Khmers rouges, un documentaire exceptionnel décrypte au Festival de Sundance l'effroyable machine de mort mise en place par le régime communiste dans les années 70.
  
Le journaliste cambodgien Thet Sambath co-signe avec le Britannique Rob Lemkin ce documentaire, Enemies of the people (Ennemis du peuple), en compétition au festival de cinéma indépendant, qui se tient jusqu'à dimanche à Park City, dans les montagnes de l'Utah.
  
Les historiens évaluent à deux millions le nombre de personnes exécutées, mortes sous la torture, d'épuisement ou de malnutrition, sous le régime des Khmers rouges (1975-1979), soit un quart de la population de l'époque.
  
La famille de Thet Sambath a payé un lourd tribut au régime, responsable de la mort de son père, de sa mère et de son frère aîné. C'est pour essayer de comprendre ce déchaînement de violence qu'il a décidé, il y a dix ans, de lancer son enquête en partant à la recherche des responsables des massacres.
  
Très vite, il s'est présenté chez l'ancien numéro 2 et idéologue du régime, Nuon Chea, qui vivait alors près de la frontière thaïlandaise.
  
«Au début, il m'a dit qu'il ne parlerait pas, qu'il n'avait jamais rien dit à personne, même pas à ses enfants ou à sa femme», raconte Thet Sambath à l'AFP.
  
Mais après plusieurs années de visites hebdomadaires, de «conversations amicales» avec «frère numéro 2», ce dernier a fini par parler.
 
 Le journaliste a tout enregistré, d'abord sur des cassettes audio puis, de peur qu'on ne le croit pas, sur des cassettes vidéo. Avant de décider, en collaboration avec Rob Lemkin, d'en faire un documentaire.
  
Nuon Chea raconte tout, de son accession au pouvoir à ses relations avec le numéro un Pol Pot, et reconnaît les tueries, qui visaient à se débarrasser de tous ceux qui étaient considérés comme des «ennemis du peuple».
  
«Quand je l'interviewais, je lui disais que c'était pour l'histoire, pas pour un journal, et j'ai respecté cela. Pendant longtemps, je n'ai rien écrit. C'est pour cela qu'il m'a parlé», explique Thet Sambath.
  
Nuon Chea, âgé de 83 ans, a depuis été rattrapé par la justice. Arrêté en 2007 sur ordre d'un tribunal parrainé par les Nations unies, il attend son procès pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité.
  
Les cassettes ont une telle valeur documentaire qu'«elles seront utilisées par la cour et nous en sommes très fiers», affirme Rob Lemkin.
  
Il espère que le film «contribuera à un processus de réconciliation», dans un pays où les atrocités du régime des Khmers rouges sont encore taboues, en partie «parce qu'il y a eu beaucoup de gens tués, mais aussi beaucoup de gens ayant perpétré les crimes», sans doute «plusieurs milliers».
  
Thet Sambath a également rencontré et fait parler des meurtriers, là encore après un long et patient travail de mise en confiance. Leurs récits font froid dans le dos, tout comme leur détresse et leur honte face à leurs actes passés.
  
«Il faut que tout cela soit éclairci avant que ces gens meurent», déclare Rob Lemkin. «Sinon, la prochaine génération va se construire sur un sentiment de trou noir et ce n'est pas sain».
  
Lors de ses entretiens, Thet Sambath a toujours tenu à mettre de côté son histoire familiale. Et plus qu'à une quelconque revanche, «il fallait penser à ce qui était le plus utile pour les gens», dit-il.
  
«Mais toute l'enquête qu'il a menée est une sorte de vengeance personnelle non-violente», observe Rob Lemkin. «Car sa revanche, c'est la vérité».