Le 5e Festival de films sur les Droits de la personne s'ouvre ce soir avec Le jour où Dieu est parti en voyage, premier long métrage du cinéaste belge Philippe Van Leeuw, dans lequel celui-ci braque résolument sa lentille dans le regard d'une rescapée du génocide de 1994 au Rwanda.

Comme tout le monde en 1994, Philippe Van Leeuw a été tétanisé devant sa télé en apprenant le génocide au Rwanda. De plus, l'assassinat de soldats belges sur les lieux intensifiait l'émotion dans son pays. Des amis, rapatriés d'urgence, lui ont raconté avoir caché leur nourrice dans leur plafond, sans savoir ce qu'il était advenu d'elle. «Moi, cette femme dans le plafond, je n'ai jamais pu m'en défaire, raconte le cinéaste. Ça, et le sentiment de contempler quelque chose de totalement révoltant sans être capable d'agir.»

L'idée de répondre par le cinéma a naturellement fait son chemin pour celui qui avait principalement travaillé comme directeur photo. Avec pour résultat ce premier film, une fiction inspirée par l'histoire de cette femme dont on ne sait toujours pas si elle a survécu, et dont il a imaginé le destin. Nous suivons Jacqueline, traquée comme une bête, qui se réfugie dans la luxuriante forêt rwandaise où elle fera la rencontre d'un homme tout aussi traqué qu'elle. Tels Adam et Ève chassés du paradis, ils s'entraident pendant que tout autour, c'est la barbarie.

Comme le veut la formule, une mort est une tragédie, 800 000 personnes massacrées est une statistique. «J'ai compris dès le début qu'il ne fallait plus jamais que je parle du nombre et qu'il fallait vivre cette souffrance par un seul personnage, celui de Jacqueline», dit le cinéaste.

Tout aussi important pour Philippe Van Leeuw, il lui fallait une interprète qui soit une rescapée du massacre ayant toujours vécu dans son pays, et qu'il a trouvé en Ruth Nirere, une artiste rwandaise.

Mais comment fait-on pour diriger une femme qui a échappé à l'horreur? «On lui fait confiance, dit-il. C'est elle qui sait. Je l'ai placée là où je voulais qu'elle soit et je lui ai demandé de me montrer ce qui allait se passer. Je crois que ça fonctionne parce que ce qu'elle livre, c'est elle, et même si elle a vécu le drame dans d'autres circonstance, tout ce qu'elle communique, sans un mot, elle le fait parce que c'est en elle. Je voulais que le film, même si c'est une fiction, soit ancré dans une réalité qui ne soit pas discutable.»

Surtout, il voulait donner un visage aux victimes, alors que la cinématographie occidentale sur le sujet s'attarde plutôt aux héros. «Je trouve plutôt irritant que pour parler du génocide au Rwanda, on demande à des scénaristes de valoriser le point de vue occidental, puisque ce sont des budgets occidentaux, dit-il. Le génocide devient le théâtre des émotions d'un personnage occidental et moi, je trouve ça malsain. Les Rwandais sont toujours filmés de loin, et les émotions des Occidentaux sont les seules exprimées en gros plan.»

Pas de sensationnalisme dans le film de Philippe Van Leeuw, où la violence est presque toujours hors-champ. Le voyeurisme, si voyeurisme il y a, est dans la contemplation de toutes les émotions vécues par Ruth Nirere, qu'il ne lâche pas d'une semelle du début à la fin, alors qu'elle est partagée entre son instinct de survie et l'envie d'en finir. Le réalisateur a organisé deux projections au Rwanda, où le film a été tourné. Avec la même réaction émotive du public qui, bien souvent, est incapable de s'exprimer, raconte-t-il. Comment font les victimes et les bourreaux pour continuer à vivre ensemble? «Ils n'ont pas le choix, c'est la seule raison, explique-t-il. Il n'y a pas d'échappatoire. En Pologne, il n'y a plus de juifs, donc on ne peut pas savoir. Au Rwanda, les victimes côtoient les bourreaux, et on se dit bonjour le matin. Une jeune fille qui avait été pressentie pour le rôle m'a montré la maison de l'homme qui a tué son père devant laquelle elle passe tous les jours. Elle a décidé de pardonner parce qu'elle croit en Dieu. Autant le titre de mon film déclare l'absence de Dieu, et je suis moi-même non-croyant, autant je vois dans ce pays que la foi est un ciment qui alimente la tolérance entre eux. Même s'il a dû apparaître absent...»

Le jour où Dieu est parti en voyage est présenté ce soir à 19 h à l'Alumni Auditorium de l'Université Concordia et samedi à 13 h au Cinéma du Parc. Plus d'infos au 514-842-7127 ou www.ffdpm.com.

La Presse a vu

> Reporter, d''Eric Metzger

Fascinant portrait de Nicholas (Nick) Kristof, célèbre journaliste du New York Times, récipiendaire du prix Pulitzer, qui a réussi à faire connaître à ses lecteurs la crise du Darfour, et à l'imposer dans une actualité toujours assez nombriliste. Sa réputation, son style et son indépendance - il aime faire cavalier seul - en font une référence. Il tente de répéter l'exploit avec la crise humanitaire au Congo, qui a déjà fait 5 millions de morts. Plus que le portrait d'un homme, c'est un regard éclairant sur la profession des journalistes qui vont sur le terrain, au plus près de l'histoire. Il faut le voir rencontrer l'un des inquiétants seigneurs de la guerre dans son quartier général... Kristof connaît bien son métier, ses contraintes, toujours soucieux de rejoindre les gens, pas seulement ceux sur qui il écrit, mais ceux pour qui il écrit, parce qu'ils pourraient faire toute la différence. En pleine crise des médias, la pertinence de ce métier telle que démontrée dans ce documentaire est on ne peut plus criante.

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Demain à 19 h au Cinéma du Parc et lundi 17 h au Cinéma Parallèle.

> Eyes Wide Open - A Journey Through Today's South, de Gonzalo Arijon

Une nouvelle génération de leaders est en train de faire la révolution en Amérique du Sud, le saviez-vous? Ce documentaire engagé et enthousiaste vous le démontrera de façon assez limpide pendant deux heures. Vous y entendrez des mots qui ne sont plus très populaires chez nous, comme solidarité, nationalisation, socialisme, redistribution des richesses... et qui, pour les habitants du Brésil, de l'Équateur, du Venezuela ou de la Bolivie, ont tout du gros bon sens. Une prise de conscience généralisée qui abolit les frontières entre les populations latines, résolues à se serrer les coudes contre le modèle néo-libéral qui n'enrichit que les multinationales, laissant les territoires dévastés et pas assez de profits locaux pour que ça en vaille la peine. La révolution n'est pas qu'économique, elle est aussi écologique. On y entend les Hugo Chavez, Lula et Evo Morales, des citoyens, ainsi que l'écrivain Eduardo Galeano, bien heureux que sa parole se fasse entendre et donne ses fruits, 40 ans après la publication de Veines ouvertes de l'Amérique latine. On en sort convaincu et presque envieux d'une telle fièvre, pendant qu'on ne nous demande que de consommer pour faire rouler l'économie. Parce que si ça fonctionne, cette révolution, la jungle amazonienne risque bien d'être plus protégée que notre forêt boréale.

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Dimanche 14 mars à 17 h au Cinéma du Parc et mardi 16 mars au Cinéma Parallèle.