Fuyant les affres du drame biographique traditionnel, Antoine de Caunes s'est attardé dans son film à un épisode très précis de la vie du célèbre humoriste français Coluche. Du coup, Coluche, l'histoire d'un mec n'a pas vraiment eu l'effet escompté auprès du public français.

Quand les producteurs lui ont offert de réaliser un film sur Coluche, Antoine de Caunes a d'abord refusé tout net.

«Les biopics m'ennuient, sauf exception, dit-il. Walk the Line, c'était bien quand même.»

Puis le projet s'est précisé. De Caunes, qui s'est notamment distingué lui-même à titre d'humoriste sur les ondes de Canal Plus avant de passer au jeu et à la réalisation, a évidemment des souvenirs très vifs de Coluche, satiriste emblématique de la France de la fin des années 70. En y réfléchissant, l'épisode qui devait sceller le destin du clown sur le plan politique et social revêtait aux yeux du réalisateur un caractère dramatique formidable, à travers lequel il pouvait évoquer l'essence même du personnage.

Coluche, l'histoire d'un mec s'attarde ainsi à décrire la vie de Coluche au moment où il fut candidat à l'élection présidentielle de 1981, face à Valéry Giscard d'Estaing et à François Mitterrand. Ce qui au début ne devait être qu'une farce a pris une dimension insoupçonnée. Coluche s'est fait prendre à son propre jeu. Il est sorti de cet épisode complètement transformé.

«Dans l'esprit des Français, il y a deux Coluche, a expliqué de Caunes au cours d'une entrevue réalisée à Paris il y a quelques semaines. Il y a d'abord le souvenir du brillant satiriste qui pose un regard très juste sur la France de ces années-là. Et puis il y a l'autre. Celui qui refait surface après l'élection, qui vit un passage difficile marqué par la dépression et les drogues dures, et qui révèle une remarquable puissance dramatique grâce à Tchao Pantin. Surtout, il comprend à ce moment-là les rouages de la politique et met en place le réseau des Restos du coeur, toujours utiles aujourd'hui, hélas. Il y a le clown d'un côté et l'abbé Pierre de l'autre.»

Au départ, Coluche annonce sa candidature pour accentuer le caractère dérisoire de la politique en général et des politiciens en particulier. Personne ne le prend au sérieux, à commencer par lui-même. Au Québec, le parti Rhinocéros occupait alors une fonction semblable dans le jeu politique. À cette différence que Coluche, lui, a recueilli 16 % des intentions de vote dans les sondages - bien assez pour devenir une menace réelle pour les candidats «officiels».

«Coluche faisait rire le roi mais riait aussi à ses dépens, commente de Caunes. À partir du moment où il est devenu une force politique, il a fallu l'abattre. Il est devenu dangereux pour les autres et pour lui-même. À l'époque, il est certain que j'aurais voté pour lui s'il était allé jusqu'au bout. Nous rêvions tous d'un débat entre Giscard et lui au 20h30. Cela aurait été anthologique!»

L'histoire de cet humoriste pris à son propre piège a permis au réalisateur d'aborder au passage des thèmes plus larges.

«Cet épisode éclaire le personnage qu'était Coluche, mais il questionne aussi plus largement la place du rire dans la société. Particulièrement à notre époque, alors que le monde s'est considérablement précarisé par rapport à celui dans lequel Coluche vivait. Les rapports sont plus durs. Je sens dans l'air comme une résignation. Personne n'ose plus rien dire par crainte de représailles.»

Un inconnu pour une icône

Coluche est une icône dans l'imaginaire collectif français. De Caunes a donc tenu à faire appel à un inconnu pour tenir le rôle-titre: François-Xavier Demaison, ancien fiscaliste devenu humoriste.

«Si j'avais fait appel à une vedette, toute la perspective du film aurait été faussée, explique le réalisateur. François-Xavier a fait un vrai travail d'acteur. Je ne voulais pas de mimétisme.»

Demaison, en nomination pour le César du meilleur acteur l'an dernier grâce à ce rôle, ne cache pas qu'il était terrifié à l'idée d'évoquer sur grand écran un personnage aussi hors normes.

«C'était très casse-gueule, reconnaît-il. Mais on ne peut pas refuser une telle occasion. D'autant qu'Antoine m'a choisi après m'avoir vu sur scène. Quand un type comme lui vous dit: «Tu es mon Coluche», c'est difficile de passer à côté!»

Sorti à l'automne 2008 en France, Coluche, l'histoire d'un mec n'a pas tout à fait rallié le grand public. Du moins, pas autant que prévu au moment où l'idée de ce film a été lancée. De surcroît, le producteur de Coluche, Paul Lederman, a intenté une action en justice pour en empêcher la sortie. Il a été débouté tout juste la veille, à 23 h 30...

«Honnêtement, je savais que mon angle d'attaque ne ferait pas l'unanimité, admet Antoine de Caunes. Pour séduire le public, cette approche n'est pas la plus facile. Coluche étant disparu en 1986, il faut aussi négocier avec plusieurs ayants droit. Je comprends bien les réticences de la famille à propos d'un film qui montre l'un des épisodes les plus sombres de celui qui leur fut très cher. Cela dit, nous avons travaillé à partir d'une biographie écrite par Philippe Boggio et Jean-Michel Vaguelsy qui, elle, n'a jamais été attaquée.

Même si je l'ai bien connu, Coluche n'était pas un ami personnel, conclut-il. Mais si j'ai finalement accepté de faire un film sur lui, c'est parce que je l'aime.»

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Coluche, l'histoire d'un mec prend l'affiche aujourd'hui. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.