Cinquante-deux minutes pour raconter Juliette Gréco. C'est le défi que s'est donné la réalisatrice Brigitte Huault-Delannoy dans le documentaire Je suis comme je suis, qui sera présenté ce soir et demain dans le cadre du 28e Festival du film sur l'art.

Le résultat est forcément partiel. Mais qui peut résumer 83 ans de cette vie en moins d'une heure? Pas même la principale intéressée, que nous avons rencontrée hier, à l'occasion de son furtif passage au Québec.

Invitée par ARTV (qui présentera le film le 11 avril), la grande dame de la chanson française ne s'est pas moins montrée à hauteur de légende, nous recevant au vin blanc, vive d'esprit, allumée et pleine d'humour.

Juliette Gréco - C'est drôle. C'est la première fois de ma vie que je ne me déplace pas pour chanter. Je ne suis venue que pour le film et ça me déroute profondément. Tout à coup, je me sens comme un objet. Et comme je ne m'aime pas beaucoup, c'est difficile.

La Presse - Étrange aveu venant de vous. Auriez-vous l'ego fragile?

R : Je vis très bien avec moi. Moralement et amoralement! Mais disons que physiquement, je ne suis pas celle que je préfère. D'ailleurs, je dois dire qu'il y a beaucoup de gros plans très cruels dans le film de Brigitte. Elle voulait la vérité. J'ai accepté ça.

Q : C'est l'âge qui vous dérange?

R : Si ça me dérangeait, je serais allée chez le docteur. J'ai 83 ans, je ne vais quand même pas essayer d'en faire 38. Ça sert à quoi d'être jeune? Ou d'être vieux? C'est pas un problème. Ce qui sert, c'est d'être vivant... Mais bon. Il y a quand même des moments où je me dis: ça va. J'ai assez vécu.

Q : Dans le film, vous dites pourtant que vous ne mourrez pas rassasiée. Que vous partirez sur votre faim...

R : C'est vrai que j'ai encore le désir. Et je pense que la vieillesse, qu'elle arrive tôt ou tard, c'est le renoncement du désir. Des combats.

Q : Je suis comme je suis vous présente comme une femme particulièrement accomplie. Y a-t-il des parties de votre vie où vous avez l'impression de ne pas être allée au bout de vous-même?

R : Non. Je suis très éprise de la découverte. J'aime voir les choses, derrière les choses. Je suis allée partout très fort avec un désir fou pour tout ce qui m'intéresse... c'est-à-dire pas tout!

Q : Et la maternité? Vous dites que vous n'avez pas été une mère exemplaire...

R : Ça, je suis allée jusqu'au bout à ma manière. Ma fille m'en a voulu d'avoir été si peu présente. Mais le jour où elle a eu une fille, elle a été aussi peu présente que moi. Que voulez-vous. Quand le père n'est pas là, il faut faire avec. Ou plutôt sans!

Q : Vous partagez vos souvenirs sans réticence. En avez-vous marre, des fois, de parler du passé?

R : Pourquoi? Je suis un peu là pour ça, non? Et puis, comment peut-on être blasée quand on parle de gens qu'on aime et qui valent la peine?

Q : C'est vrai que vous avez fréquenté les plus grands d'une grande époque. Vian, Gainsbourg, Prévert, Kosma, Cocteau, Picasso, Sartre, Simone de Beauvoir, Miles Davis... Avez-vous conscience d'avoir tutoyé l'Histoire?

R : Pas du tout. Simplement, je pense avoir toujours vécu dans l'extraordinaire. Je n'y peux rien. C'est arrivé comme ça. Je ne peux qu'être humble d'avoir croisé des gens aussi intelligents. Je n'en garde que le bonheur et l'éblouissement. Mais à force de me le faire dire, je commence à comprendre qu'il s'est passé quelque chose de bizarre...

Q : Parlant de bizarre... Il y a votre personnage dans le film sur Gainsbourg qui vient de sortir en France. Vous l'avez vu?

R : Pourquoi irais-je voir un film qui parle de moi sans que ce soit moi? Ce n'est pas que ça me fasse peur. Ce sera toujours mieux que ce que je suis! Mais c'est la vérité de l'histoire qui m'intéresse, pas l'apparat. Sûr que non. Je n'irai pas. Je n'ai pas le temps. Je ne veux pas qu'on me dérange!

Q : Encore très occupée, à ce qu'on voit...

R : Bien sûr. Je n'arrête pas de travailler. J'essaie toujours de faire mieux. La quête n'est jamais terminée, vous savez. Je suis une débutante. Chaque fois que j'entre en scène, je débute... Avec le temps, il y a une forme de reconnaissance et de tendresse qui s'est installée avec le public. Mais je continue de douter. Pas de mes choix. De moi... C'est peut-être pour ça que je ne suis pas blasée...

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Je suis comme je suis. Ce soir 18 h 30 à la 5e Salle de la PdA. Samedi, 27 mars, 18 h 30, à la Grande Bibliothèque. Diffusion à ARTV le 11 avril à 18 h 30.