Le règlement était le même pour tous. Pendant toute la durée de leur séjour à l’école primaire alternative Nouvelle-Querbes, le preneur de son Pierre Duplessis, le directeur photo Arnaud Bouquet, et le réalisateur Marcel Simard n’avaient pas le droit de mâcher de la gomme, ni d’enjamber les bancs, pas plus que de s’asseoir sur les pupitres. Ils devaient aussi lever la main pour prendre la parole.

«Cet espace appartient aux enfants, fait valoir la lumineuse Elourdes Pierre, une enseignante dont l’approche pédagogique a impressionné le cinéaste Marcel Simard au point où il en fait le sujet de son film, Le petit monde d’Elourdes. «Je ne voulais rien changer aux habitudes de la classe. Il fallait que l’équipe du film s’adapte aux enfants. Et pas le contraire.»

Il y a quelques années, le petit-fils de Marcel Simard  -le chanceux- a fréquenté la classe d’Elourdes Pierre. Le grand-papa avait à l’époque beaucoup apprécié la façon dont l’enseignante était intervenue pour régler un problème d’intimidation, comme il s’en trouve très fréquemment dans les cours d’écoles.

«J’ai été très flattée par la proposition de Marcel, même si je ne me sentais pas à la hauteur! révèle Mme Pierre en esquissant un sourire aussi éclatant qu’humble. J’ai quand même demandé un temps de réflexion car la présence d’une équipe de tournage dans la classe exige quand même un engagement important pour les enfants et leurs parents. Nous avons beaucoup discuté. Marcel est venu les rencontrer pour expliquer sa démarche. Il a d’ailleurs été d’une honnêteté extraordinaire. Il s’était même engagé à montrer le film aux parents et aux enfants avant de le présenter à un public. Il a d’ailleurs dû négocier assez serré avec les enfants pour garder certaines scènes. Il leur a expliqué les raisons pour lesquelles il estimait qu’elles devaient être là.»

Dans cette école, où l’on privilégie une pédagogie basée sur les projets dont prend l’initiative l’enfant lui-même, l’enseignante reste à l’affût des signaux porteurs de détresse, lesquels peuvent parfois traduire, si non validés, de véritables drames intérieurs.

«Cette petite détresse de l’enfance est la même partout, peu importe le milieu dans lequel l’enfant grandit, reconnaît Elourdes. C’est le propre de l’être humain. Pour qu’un enfant s’épanouisse, il doit être reçu, écouté. Et les adultes doivent accorder de l’importance à ses préoccupations. Cela en fera un être plus équilibré et plus heureux demain.»

D’origine haïtienne, Elourdes Pierre vit au Québec depuis 32 ans. Elle a maintenant 15 années d’enseignement à son actif. Sa classe «multi-âge» compte des enfants de premier, deuxième et troisième cycle. Quand les plus grands s’en vont, cela crée forcément des moments déchirants.

«Quand ma première cohorte est partie, alors que j’étais jeune enseignante, je pleurais avec eux. Je n’avais pas encore appris à bien accompagner les enfants dans ce passage. Grâce à l’expérience, et aux intervenants qui nous entourent à l’école, je suis aujourd’hui plus en mesure de le faire. Mais ce n’est pas toujours simple!»

Elle dit être très émue par le film. Qu’elle a regardé trois fois. Elle a l’impression de voir quelqu’un d’autre à l’écran.

«Surtout, j’ai le sentiment qu’à travers ce film, Marcel Simard a rendu un hommage extraordinaire au monde de l’éducation. Il nous invite à réfléchir sur la question. Sur la place qu’on doit donner à l’éducation dans la société. Vous savez, il y a beaucoup d’enseignants qui posent quotidiennement des gestes pour venir en aide aux enfants, particulièrement ceux qui interviennent dans des milieux plus difficiles. Et je souhaite que tous ces intervenants voient ce film pour qu’ils se rendent compte à quel point leur apport est important.»

Marcel Simard disparu dans des circonstances tragiques il y a quelques semaines, Elourdes Pierre devient ainsi, en quelque sorte, la porte-parole d’un film-testament.

«Il est vrai que les circonstances sont particulières, dit-elle. Mais je ne me sens pas seule. L’équipe du film est là pour porter la parole de Marcel. Par la force des choses, nous sommes un peu devenus sa voix.»