Au moment où le régime de Nicolae Ceausescu est tombé en 1989, Cristian Mungiu avait à peine entamé sa troisième décennie d'existence. 4 mois, 3 semaines et 2 jours, film qui lui a valu la Palme d'or du Festival de Cannes il y a trois ans, faisait écho aux aspects les plus tragiques d'une période incroyablement sombre, pendant laquelle l'auteur cinéaste a lui-même dû traverser son adolescence. 

L'époque avait beau être l'une des pires de l'histoire de la Roumanie, la propagande officielle évoquait pourtant un «âge d'or»...

«Nous étions alors en plein surréalisme, expliquait Mungiu au cours d'une entrevue accordée à La Presse au Festival de Toronto l'an dernier. Pour tous ceux qui étaient plongés dans cette réalité, et qui devaient se soumettre à la logique du régime, aussi absurde qu'implacable, il n'y avait évidemment rien de drôle. En même temps, les gens ont développé un humour qui reflétait bien le climat surréaliste dans lequel ils devaient évoluer. C'était une façon de survivre.»

Aussi l'auteur cinéaste propose-t-il dans ces Contes de l'âge d'or une collection de légendes urbaines, forcément «vraies», que se transmettaient de bouche à oreille ses compatriotes à l'époque. Les Roumains meublaient en effet leurs conversations de ces histoires pendant qu'ils faisaient le pied de grue dans les longues files d'attente dues au rationnement.

Films pour festivals

Mungiu avait eu l'idée de ce film bien avant celle de 4 mois, 3 semaines et 2 jours, mais l'avait laissée de côté. «J'y suis revenu à la suite d'une rencontre avec un spectateur, rappelle l'auteur cinéaste. À la sortie d'une projection de 4 mois, cet homme m'a dit avoir beaucoup apprécié le film, mais il m'a confié du même souffle avoir le sentiment que la Roumanie ne produisait désormais que des films pour les festivals à l'étranger plutôt que pour le public local. J'avoue que cela m'a déstabilisé un petit peu. Il est vrai que l'approche dans ces Contes est beaucoup plus ludique, moins austère. Le sujet s'y prête mieux, cela dit.»

Évoquant la manière des films italiens des années 60 et 70, Cristian Mungiu a conçu le projet, écrit les scénarios et confié la réalisation de ces histoires à différents réalisateurs. Six vignettes ont été tournées en tout - Mungiu signe la réalisation de deux d'entre elles - mais le film n'en compte que quatre ou cinq, au gré des festivals et des marchés dans lesquels ils sont présentés.

«Ma préoccupation première est que le film soit cohérent, dit-il. Même si chaque réalisateur garde son style, il reste qu'il s'agit d'un long métrage collectif. Voilà pourquoi les histoires ne sont pas identifiées aux cinéastes qui les ont réalisées. Autrement, cela aurait été une distraction.»

Autre préalable: les réalisateurs devaient quand même être assez âgés pour avoir connu la période décrite dans le film. Outre Mungiu, Ioana Maria Uricaru, Hanno Höffer, Razvan Marculescu et Constantin Popescu ont participé au projet.

«L'idée était de replonger dans l'époque de notre adolescence en évoquant les choses qui la caractérisaient. Même si le régime dans lequel nous avons grandi était horrible, on garde toujours la nostalgie de sa jeunesse, peu importe le contexte dans lequel elle a été vécue.»

Rayonnement

À cet égard, l'émergence d'un «nouveau» cinéma roumain, très fécond depuis la dernière décennie, n'étonne guère Cristian Mungiu.

«Il y a un effet d'entraînement, c'est sûr, reconnaît-il. À partir du moment où un film obtient du succès sur la scène internationale, cela pousse plusieurs autres cinéastes à tenter de faire de même. Tout le monde essaie alors d'être à la hauteur des standards de qualité établis par ceux dont les oeuvres ont été reconnues dans les différents festivals.»

Mungiu impute aussi le nouveau rayonnement du cinéma roumain à la diversité des styles et des thèmes abordés. «Notre regard est différent de celui de nos aînés parce nous n'avons pas vécu les horreurs du régime Ceausescu de la même façon qu'eux. Nous étions encore jeunes quand nous en avons été libérés. Nous sommes évidemment révoltés par les abus de pouvoir dont notre peuple fut victime, mais notre colère ne s'exprime pas de la même façon. Les cinéastes de la génération précédente - j'admire Lucian Pintilie - ont fait des films remarquables en criant leur indignation. Il ne pouvait en être autrement. Nous leur devons beaucoup.»

Les contes de l'âge d'or (Amintri din Epoca de Aur en version originale roumaine) prend l'affiche le 14 mai.