«La mémoire a sa propre force de gravité. Les États qui enfouissent leurs crimes passés sont à la traîne» dit le Chilien Patricio Guzman, dont le film Nostalgie de la lumière dévoilé au Festival de Cannes, évoque les séquelles de la dictature par le biais de l'astronomie.

«Je suis un passionné d'astronomie, de science-fiction, de soucoupes volantes, de satellites, de fusées, d'exploration de la Lune. J'ai un petit télescope et dès que je peux, je pars à la campagne regarder le ciel» explique dans un entretien à l'AFP, l'auteur de ce remarquable documentaire programmé vendredi en sélection officielle, dans la section Un certain regard.

Nostalgie de la lumière a été tourné dans le désert chilien d'Atacama, une étendue désertique battue par les vents, au sol très proche de celui de la planète Mars, disent les scientifiques.

La pureté de son air et une humidité proche de zéro en font un exceptionnel point d'observation du ciel, et de nombreux observatoires y ont été construits.

«La lumière de la Voie lactée est si puissante, les étoiles sont si lumineuses qu'on voit son ombre. Et lorsqu'on s'allonge sur le sol pour observer le ciel, on ressent un grand calme intérieur. Il y a une grande spiritualité, une véritable poésie dans le cosmos», dit-il.

Mais si le désert d'Atacama est si fascinant, c'est aussi qu'il renferme dans les strates de son sous-sol, toute l'Histoire du Chili, de l'Amérique du Sud et même de l'Humanité.

«On y trouve des momies précolombiennes, des soldats tombés pendant une guerre contre le Pérou, des météorites, des traces de dinosaures et des observatoires... puis 30 kilomètres plus loin, un camp de concentration de l'époque de Pinochet», raconte Patricio Guzman.

En posant sa caméra dans ce désert, il évoque les mystères de l'univers et l'harmonie du cosmos, pour mieux sonder les maux terrestres de ses concitoyens et l'amnésie qui selon lui ronge son pays.

«Alors que les astronomes sont en train de découvrir l'origine du cosmos, dans nos écoles les enfants n'ont même pas accès à l'Histoire des 30 dernières années. Dans les manuels scolaires, le coup d'État et la dictature militaire sont à peine évoqués», déplore-t-il.

«Selon moi, la mémoire a sa propre force de gravité. Les États qui enfouissent leurs crimes passés sont à la traîne sur les autres nations».

Émouvant et magnifiquement conté de sa voix douce, son film fait dialoguer deux pans de la société chilienne qui s'ignorent: d'un côté, les scientifiques dont les recherches propulsent le pays vers l'avenir et de l'autre, des archéologues tournés vers le passé, à la recherche des victimes de la dictature militaire (1973-1990) dont les corps sont enfouis dans le désert.

«On estime qu'il y a eu 3000 disparus, assassinés et enterrés dans des fosses communes. Seuls 700 ont été retrouvés, on ignore où sont les autres».

«Pendant le tournage du film, on a retrouvé trois corps. L'un d'eux était celui d'une jeune Uruguayenne, décapitée. Il y avait ses papiers d'identité et sa soeur est venue pour l'inhumer», explique Patrizio Guzman.

«Comme les militaires gardent le silence sur leurs crimes, on trouvera encore des corps pendant cent ans», estime-t-il.

Patrizio Guzman a notamment signé La bataille du Chili, une trilogie sur le gouvernement de Salvador Allende et sa chute, Au nom de Dieu sur la théologie de la libération ou encore Le cas Pinochet.