Cas de censure patent. Violation des droits et de la liberté. Outrage à la création artistique. Le milieu artistique québécois et la classe politique, tant provinciale que fédérale, dénoncent vigoureusement la détention du cinéaste iranien Jafar Panahi, incarcéré depuis mars pour avoir préparé un film sur la réélection contestée du président iranien Mahmoud Ahmadinejad. M. Panahi a entrepris une grève de la faim et il paraissait désespéré dans son dernier message, rendu public mardi au Festival de Cannes.

Le ministre canadien des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a demandé hier aux autorités iraniennes de «relâcher Jafar Panahi et de libérer tous les prisonniers détenus injustement, incluant des membres de la communauté bahá'ie». À Québec, la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, est attristée de cette situation, d'autant plus qu'elle a rencontré Jafar Panahi l'an dernier à Montréal lors du Festival des films du monde (FFM). Elle avait foulé le tapis rouge à son bras.

«C'est tellement injuste qu'il ait été arrêté comme ça», dit-elle, ajoutant que la pression internationale joue un rôle important. «C'est clair que sa vie est en danger, dit-elle. Il faut dénoncer ça.»

La semaine dernière, une motion proposée par le député de Québec solidaire, Amir Khadir, pour condamner l'arrestation et la détention de Jafar Panahi a été adoptée à l'unanimité par les députés de l'Assemblée nationale. M. Khadir devait demander hier au premier ministre du Québec, Jean Charest, d'écrire au président brésilien Luiz Iñacio Lula da Silva afin qu'il se serve de ses bonnes relations avec le gouvernement de Téhéran pour faciliter la libération de Jafar Panahi.

«Il ne faut pas oublier qu'il y a eu plus d'une quinzaine d'exécutions politiques, ces dernières semaines, de militants des droits de l'homme, de féministes, de manifestants pacifiques, de leaders étudiants ou de gens de minorités ethniques», a dit Amir Khadir.

La grève de la faim de M. Panahi est saluée par le producteur Rock Demers, qui a été en Iran une quinzaine de fois depuis 1959. «Je trouve que c'est très, très courageux de sa part», dit-il. «Pas besoin d'être cinéaste pour réagir à une chose comme celle-là, mentionne pour sa part le réalisateur de La donation, Bernard Émond. C'est un cas de censure patent. C'est une chose terrible. On n'emprisonne pas les gens pour leurs opinions.»

Un point de vue partagé par le cinéaste Jean-Pierre Lefebvre. «Il n'y a rien de plus absurde que d'empêcher la liberté d'expression et de création, dit-il. C'est le fondement même de l'humanité.»

Du côté de l'Union des artistes, le président Raymond Legault rappelle que «toute société doit accepter qu'en son sein, il y ait des gens qui puissent la critiquer». «Le rôle d'un artiste, dit-il, c'est aussi de faire réfléchir et de montrer des zones d'ombre. L'emprisonnement de ce cinéaste est une négation de son rôle à l'intérieur d'une société.»

La comédienne Charlotte Laurier est également «bouleversée». «J'étais à l'ouverture du FFM l'an passé et tous les membres du jury portaient un foulard vert en guise de solidarité, dit-elle. M. Panahi n'était pas seul contre le régime iranien et sa politique corrompue. Je réalise maintenant les dangers de la dissidence dans un système qui veut anéantir l'expression.»

Mme Laurier estime que Jafar Panahi «se bat pour la dignité humaine, celle de sa famille, la sienne et la nôtre». «Le courage de cet homme est plus fort que tout, dit-elle. Il mérite notre admiration. J'invite tout le monde à exiger sa libération et celle de Mohammad Ali Shirzad, un autre cinéaste incarcéré en Iran, en se rendant sur le site d'Amnistie internationale.»

Ce soutien du milieu artistique québécois fait plaisir à l'artiste d'origine iranienne Shahrzad Arshadi, qui demande aux citoyens canadiens d'envoyer des lettres de protestation à l'ambassade d'Iran à Ottawa.

«Toutes les nouvelles qui nous parviennent d'Iran ces jours-ci sont horribles, dit-elle. La célébrité de Jafar Panahi ne l'aide pas. Je suis très inquiète pour lui. Il faut écrire des lettres et faire pression pour exiger sa libération. On ne peut rester sans rien faire, sinon rien ne changera.»

«Jafar Panahi est un homme intègre qui s'est tenu debout pour les femmes et les opprimés, ce qui rend l'annonce de sa grève de la faim particulièrement inquiétante car il ne lâchera pas, ajoute de son côté Nika Khanjani, cinéaste d'origine iranienne vivant à Montréal. Il est de notre ressort d'en tenir compte. Ne pas crier haut et fort notre indignation serait honteux. Sortez et allez louer Le Cercle, Le Ballon blanc et Offside: vous comprendrez ce que je veux dire.»

«M. Panahi est un artiste emprisonné seulement pour ses opinions et ses croyances, dit Hadi Ghaemi, directeur exécutif de International Campaign for Human Rights in Iran, à New York. Il est devenu un symbole culturel de la résistance à la tyrannie et à l'oppression. Il n'a commis aucun crime sauf celui de s'opposer aux atrocités qui se sont produites en Iran durant la dernière année. Nous sommes extrêmement inquiets pour sa santé et son bien-être et nous tiendrons le gouvernement iranien responsable pour tout mal qui pourrait lui être infligé. Il doit être immédiatement libéré.»