L'Italie des petites combines, de l'économie informelle et du chacun pour soi est au coeur du film La nostra vita de Daniele Luchetti, présenté jeudi en compétition officielle à Cannes.

Seul film de la péninsule à briguer la Palme d'or cette année, La nostra vita marque le retour du cinéaste en compétition, dix-neuf ans après Le porteur de serviette. Il y a deux ans, il avait montré Mon fils unique en sélection officielle, dans la section Un certain regard.

Après avoir brillé ces deux dernières années à Cannes - en s'attaquant à Mussolini dans Vincere de Marco Bellocchio en 2009, à la mafia dans Gomorra de Matteo Garrone et à la corruption au sommet de l'État dans Il Divo de Paolo Sorrentino - le cinéma italien livre là un opus de plus modeste facture.

Chef de chantier dans la construction, Claudio (Elio Germano) vit heureux à Rome avec sa femme Elena (Isabella Ragonese) et leurs deux petits garçons.

Enceinte, Elena rêve de vacances en Sardaigne mais la famille n'a pas les moyens, «parce que nous, on ne vole pas», explique-t-elle à ses fils.

Un jour, un gardien de nuit roumain se tue sur le chantier et Claudio se contente d'ensevelir le corps, de crainte de voir arrêtée la construction qui n'emploie que des immigrés en situation illégale.

C'est alors qu'Elena meurt en couches, laissant Claudio désemparé.

Éperdu de douleur, il fait chanter son patron pour que celui-ci lui octroie la construction d'un vaste immeuble, et confie ses enfants à sa soeur puis à son ami (Luca Zingaretti) qui deale de la drogue et vit avec une ex-prostituée.

Lorsque l'ex-femme du gardien, Gabriela (Alina Madalina Berzunteanu) débarque en posant des questions, Claudio rongé par le remords embauche son fils Andrei (Marius Ignat) et le forme au métier de maçon.

Sur le chantier les retards s'accumulent et Claudio est bientôt pris à la gorge par les échéances financières.

Daniele Luchetti campe une Italie à la moralité partout vacillante : au niveau de l'État d'abord, qui autorise la construction à la va-vite d'ensembles immobiliers, synonyme de corruption, de blanchiment d'argent et d'exploitation d'une main d'oeuvre clandestine, et n'assure plus les services publics.

Au niveau des individus ensuite, pour qui ne pas payer ses impôts ou arrondir ses fins de mois par des petits trafics, est devenu naturel.

Dans cette ambiance de déréliction générale, seule la solidarité familiale et l'amitié permettent de faire face au chômage ou au deuil.

Filmé caméra à l'épaule, avec un cadre mouvant, rythmé par une musique de variété tonitruante, La nostra vita est en empathie avec un héros d'une grande vitalité, dont les défauts sont présentés comme ceux de l'Italie de Berlusconi.

Sa course à l'argent est celle d'une société tout entière dont une frange grandissante se retrouve en marge de la consommation, montre Luchetti.

«J'ai voulu regarder cette société et m'abstraire de tout jugement. Ce film témoigne de miséricorde envers l'être humain, il nous dit que l'autre n'est pas si différent de moi», a expliqué le cinéaste lors d'une conférence de presse.

«L'Italie selon moi n'est pas devenue immorale, mais amorale», a jugé pour sa part l'acteur Luca Zingaretti. «Mon personnage est dans une chaise roulante et pour vivre, il deale de la drogue. Ce genre de personnage est récent, il reflète la désagrégation d'une société où les fins de mois sont difficiles».