À Cannes ou à Hollywood, le cinéma est signe de glamour et paillettes. Mais en Irak, les salles sont sinistres et fréquentées par de rares spectateurs, soupçonnés par leurs concitoyens de s'y rendre pour assouvir leurs penchants pervers.

Dans l'une des cinq dernières salles de cinéma encore ouvertes en Irak, le propriétaire a placardé des affiches jaunies un brin provocantes pour attirer le chaland.

??l'Atlas, dans le centre de Bagdad, le poster de Vanilla Sky montre Cameron Diaz dans un maillot de bain très échancré et dans celui du film français Irréversible, l'actrice italienne Monica Bellucci exhibe sa poitrine sous un débardeur mouillé.

Dans la salle poussiéreuse, une quinzaine d'individus assistent à la séance. Les sièges rouges sont déchirés, les tubes de néon blanc clignotent continuellement quand ils ne s'éteignent pas à cause des coupures d'électricité.

«Le cinéma c'est fini en Irak. Il n'y a personne dans la salle. Dans les années 90, l'Atlas était rempli», chuchote Abou Ahmed, un spectateur. Signe de la mauvaise image des salles de cinéma, il refuse de donner son vrai nom. À peine accepte-t-il de confier qu'il est fonctionnaire et âgé de 52 ans.

«Aujourd'hui seuls les chômeurs et ceux qui ont du temps à tuer viennent, dit-il. Moi je viens parce que j'aime les films policiers».

Sur un écran pâlot, les images sont tremblotantes: la copie est en fait un DVD pirate de mauvaise qualité acheté à des marchands à la sauvette.

«Une copie 35 mm que l'on peut se procurer en Égypte coûte 20 000 $. Je n'ai pas les moyens», se défend le propriétaire de l'Atlas, Saad Hachem Ahmed, 53 ans.

«Le cinéma est mort», se désole-t-il après des années passées à se battre pour sauver sa salle. «Les Irakiens ne savent plus ce que le cinéma veut dire et nous ne gagnons rien».

Pour lui, c'est surtout la violence qui a le plus nui aux affaires. «Après la chute de Saddam Hussein, la sécurité s'est dégradée. Ensuite, il y a eu la guerre confessionnelle. Chaque famille irakienne a eu des victimes alors comment voulez-vous qu'ils aillent au cinéma?».

Trois cinémas vivotent dans la capitale et deux autres au Kurdistan. La seule salle obscure de Bassora a fermé ses portes après une série d'attentats le 10 mai. Avant la chute de l'ancien régime en 2003, une cinquantaine de cinémas étaient ouvert en Irak, dont 30 dans les provinces.

Un autre spectateur, qui refuse aussi de s'identifier, met la faute sur les chaînes satellitaires. «Les gens regardent la télévision, ils ne sortent plus», dit-il à voix basse.

Dans ce pays conformiste, les spectateurs sont souvent soupçonnés de fréquenter les salles obscures pour reluquer des femmes nues ou pour avoir des aventures homosexuelles. «L'Irak est très conservateur et les gens n'ont pas l'habitude du cinéma et ont parfois les idées déplacées», dit-il.

Deux hommes ont toutefois décidé de changer les choses. Fouad al-Bayati et Thaer al-Hajj Mohammed ont racheté le Sémiramis, un ancien temple de la culture dans les années 1960 et 1970 où les artistes et les acteurs se pressaient pour voir les derniers films égyptiens et européens.

Ils ont l'ambition de redonner à cette salle son lustre d'antan. «Le peuple irakien est très cultivé, il aime le 7e art. Il y a 20 ans, on pouvait voir ici des films français avec Alain Delon, Catherine Deneuve et Yves Montand», assure Thaer Mohammed.

«Les jeunes et les familles ont très envie de retourner au cinéma», assure-t-il. Avec son associé, ils ont établi un plan de reconquête des spectateurs. «Nous organisons des pièces de théâtre comique. Les Irakiens adorent ça».

«Ils peuvent ainsi voir que notre établissement est respectable et propre et nous espérons qu'ils voudront revenir», parie ce producteur.