Xavier Dolan est partout. Ça, on le savait déjà. Mais le petit frère montréalais d’Almodovar s’entend également dans les salles de cinéma ces jours-ci puisqu’il prête sa voix au double francophone de Jay Baruchel, le fameux Leon du West Island dans Le Trotski de Jacob Tierney.

«Comme Le Trotski est un film qui se passe à Montréal avec une famille un peu biculturelle (une mère québécoise, un père anglo), le doublage a été un peu particulier», indique Martin Landry, d’Alliance Films.

En effet, poursuit le superviseur au doublage de la maison qui a produit Le Trotski, le défi d’adapter en français ce film était un peu particulier. On ne pouvait pas avoir recours au même français international qui se parle dans les traductions de films américains, par exemple, «sans tomber dans la caricature, le pari était de laisser quelques sacres québécois, quelques "criss" et "tabarnak" tout en gardant le mot fuck», dit-il.

Le réalisateur de J’ai tué ma mère a-t-il été choisi pour sa notoriété? Quand même pas, non. Xavier D., bien avant le succès que l’on sait, a fait ses classes dans les studios de doublage.

«Cela fait longtemps que Xavier s’est fait un nom dans le doublage. Pour lui, ce projet était différent, puisqu’il devait briser certaines choses qu’il fait sans réfléchir et descendre son niveau de langue. Cela le chicotait», ajoute Martin Landry, qui reconnaît que l’attrait des vedettes existe bel et bien, mais davantage du côté des films d’animation.

Célèbres voix comiques

Chez Cinélume, le doublage de Garfield (avec Patrick Huard) a marqué le début d’une pratique qui consiste à aller chercher des voix connues et aimées du grand public pour doubler des stars de films d’animation.

«Quand on a fait appel à Patrick Huard, ça a marché fort. Ensuite, il y a eu Benoît Brière dans Robots et Joël Legendre et Guillaume Lemay-Thivierge qui en ont fait», raconte Joey Galimi, président de Cinélume et de l’Association du doublage.

Le comédien Stéphane Rivard, qui gère le site Doublage.qc.ca, s’inquiète quant à lui de cet engouement pour les têtes d’affiche dans son domaine.

«Depuis le succès de Garfield, les producteurs veulent de plus en plus avoir des gros noms comme têtes d’affiche. Les distributeurs font aussi de la publicité avec ça. De plus en plus de studios, de producteurs ou de distributeurs recherchent des vedettes qui font de l’humour. Les chanteuses aussi, à une certaine époque, étaient en demande: pensons à la voix de Lara Fabian, dans les productions de Disney. Pour les films avec des chansons, l’idéal est de trouver quelqu’un qui sait chanter et faire du doublage.»

Cela crée-t-il des tensions dans le monde du doublage? Stéphane Rivard préfère parler de «désagréments» qui peuvent nuire non seulement aux comédiens, mais aussi aux directeurs de projets.

«On leur impose certains talents qui ne sont pas toujours capables de faire du doublage, qui reste une technique pointue. Par exemple, on décide d’une voix vedette et que tel nom connu participera à tel film. Cela peut créer des tensions.»

Cachets généreux

Pour ce qui est des cachets, cela reste un secret bien gardé entre les agents et les artistes. Il existe bien sûr des tarifs minima dans les contrats de doublage. Mais cela n’empêche pas certaines personnes de demander le double ou le triple...

Tout cela inquiète-il Stéphane Rivard?

«Légèrement, oui, pour la qualité, avoue-t-il. Parfois, choisir des vedettes donne des résultats différents. Si on veut une coloration régionale, ça peut marcher. Mais pour certaines productions, ça ne marche pas. Il est même arrivé qu’au final, on laisse tomber la version québécoise pour plutôt choisir de garder le doublage français, même si l’argot et le jargon sont difficiles à comprendre pour les enfants. Ça a été le cas, notamment, pour Shrek

Mais que les doubleurs professionnels se rassurent: les pros de la voix ne seront pas remplacés de sitôt par les têtes d’affiche, soutient Martin Landry d’Alliance Films.

«Le plus important dans mes choix de casting est d’avoir un bon comédien. J’ai un penchant pour les artistes de la scène, qui savent garder leur art vivant. Violette Chauveau, que l’on voit souvent au théâtre, fait beaucoup de doublage. C’est quelqu’un qui sait composer des personnages différents. En revanche, Rémy Girard en fait très peu, surtout parce qu’il est très occupé ailleurs. Certains comédiens comme Patrice Dubois, Françoise Faucher, François L’écuyer, Catherine Proulx-Lemay, Émilie Bibeau en font beaucoup. Pour eux, l’horaire du doublage est parfait, puisqu’ils jouent au théâtre le soir.»

Doublure de jour, acteur de soir, c’est ça, la vie d’artiste.