Révélé au Festival de Cannes en 1991 grâce à Toto le héros, qui lui avait alors valu la prestigieuse Caméra d'or (remise au meilleur premier film), Jaco Van Dormael ne comptait qu'un seul autre long métrage à son actif jusqu'à ce jour. Depuis Le huitième jour, réalisé en 1996, l'auteur cinéaste était pratiquement disparu de la circulation.

Il refait aujourd'hui surface avec un film anglophone très ambitieux.

Mr. Nobody, dont une bonne partie du tournage s'est déroulée à Montréal, est un drame futuriste campé à la fin du siècle. Le dernier mortel de la planète, un homme âgé de 118 ans prénommé Nemo (Jared Leto), y remonte le cours de ses souvenirs en racontant son existence, réelle ou fantasmée, évoquant la multitude de vies possibles découlant de ses choix.

«Être un has been est plutôt confortable! lance en riant Jaco Van Dormael au cours d'un entretien téléphonique. Cela permet de faire ses affaires tranquillement et de resurgir au moment opportun!»

En fait, l'auteur cinéaste dit avoir simplement «vécu» pendant toutes ces années. Au lendemain du Huitième jour, l'idée de Mr. Nobody commence déjà à prendre forme, elle-même inspirée d'un court métrage qu'avait auparavant réalisé Van Dormael. Dans E pericoloso sporgesi, un enfant était déjà confronté à un choix impossible: partir avec son père ou sa mère. À l'aune de cette prémisse, l'imagination de l'auteur s'est mise à carburer à grande vitesse, multipliant les possibilités de destinées du jeune protagoniste selon les choix qu'il fait. Ou ne fait pas. L'histoire de Mr. Nobody est ainsi construite autour de la fameuse question «Et si?».

«Le cinéma est un art formidable car il nous permet de concrétiser des expériences que l'on ne pourrait jamais se permettre dans la vie, commente le cinéaste. J'aime explorer, autant dans les sujets que dans la forme. Je me suis mis à écrire cette histoire en essayant de trouver une manière inédite. Faire du cinéma en utilisant une forme classique m'intéresse moins.»

Le luxe du temps

Van Dormael s'est offert le luxe du temps. Il a aussi pu organiser sa propre conciliation travail-famille. Père de jeunes enfants au moment où le projet est né, l'auteur s'est discipliné à écrire quotidiennement pendant quelques heures, en couchant des scènes sur papier, dont plusieurs ont ensuite pris la direction de la poubelle.

«Au quotidien, un scénariste est généralement mauvais, explique-t-il. Il me faut beaucoup de temps pour orchestrer des scènes satisfaisantes à mes yeux. Je ne pensais pas devoir en prendre autant cela dit. Quand je me lance dans un projet, je me dis toujours que je pourrai l'écrire vite et qu'il pourra être produit pour pas cher. C'est toujours le contraire qui se produit!»

Même s'il écrit son scénario en français, Jaco van Dormael convient très vite de réaliser son film en anglais.

«C'est un choix que j'ai fait dès le départ, fait-il remarquer. Cela n'a rien à voir avec des considérations économiques. J'avais simplement envie de changer, d'écrire une histoire qui se situerait en Amérique et en Europe avec un océan au milieu. Je ne crois pas que Mr. Nobody aurait été plus ou moins difficile à monter financièrement si j'avais utilisé la langue française. Nous serions certainement parvenus à faire le film avec les mêmes moyens, mais en utilisant toutefois d'autres chemins pour y arriver.»

Son envie de tourner au Québec ne découle pas non plus de l'effet du hasard.

«À vrai dire, cela remonte à l'époque de Toto le héros! dit-il. J'étais même alors venu à Montréal pour faire des repérages. Cela ne s'est pas concrétisé mais je savais que je reviendrais chez vous pour tourner un film. Forcément. Pour nous, Montréal représente un pont entre l'Europe et l'Amérique.»

La critique est unanime

Avec son univers foisonnant, son récit éclaté qui mêle les époques et les différentes trames narratives, Mr. Nobody n'a pas rallié tous les publics.

« En fait si , recti fie Jaco Van Dormael. Mon film a fait l'unanimité en France. Quasiment toute la presse française s'est prononcée contre! La carrière de ce film est très étrange. Je ne sais comment l'expliquer. Personne n'est allé le voir en France mais il fonctionne en revanche très bien en Belgique et en Russie!»

L'auteur cinéaste ne se démonte pas pour autant.

«Je suis heureux car j'ai fait exactement le film que j'avais en tête. Ce film est aussi fou que je le souhaitais au départ. Maintenant que j'ai atteint la cinquantaine, j'ai envie de briser les règles narratives et d'aller le plus loin possible. Contrairement à ce que certains croient, le cinéma n'est pas mort. Nous n'en sommes encore qu'au début!»

Outre Jared Leto, Mr. Nobody met aussi en vedette Sarah Polley, Diane Kruger, Linh-Dan Pham, Rhys Ifans et Natasha Little.

Mr. Nobody est présentement à l'affiche en version originale et en version française.