Du début de la guerre civile -dans les années 1930- jusqu'à la mort de Franco en 1975, l'Espagne a vécu sous un régime totalitaire et dictatorial. Durant cette période sombre de près de 40 ans, l'émancipation des femmes a été mise entre parenthèses. Celles-ci n'avaient même pas le droit de rêver comme le dit si justement le documentaire Senora de (La femme de…). Le film, présenté en première nord-américaine au Festival des films du monde, donne la parole à treize femmes qui ont vécu ces années dans le silence et qui ne souhaitent à personne de revivre cette période. Pour l'occasion, La Presse a rencontré une des scénaristes et productrices, Carmen Rabade.

Q. Quelle est la motivation derrière ce film ?

R. En Espagne, la mémoire de la guerre civile est encore très présente. À cette époque, les hommes faisaient trois ans de service militaire et les femmes, un an. Mais en fait, on leur apprenait à broder, à repasser, à s'occuper de la maison, etc. Cette génération a par la suite vécu la chute de la dictature et l'arrivée de la démocratie avec tout ce qu'elle a apporté : le divorce, la contraception, l'égalité dans les couples, le mariage entre personnes du même sexe. Aujourd’hui, ces femmes vivent encore avec le sentiment de ne pas avoir eu cette liberté.

Q. Comment cette mémoire collective est-elle vécue aujourd'hui?

R. En silence. Personne n'en parle. La génération des femmes dont on parle dans le film, des femmes de plus de 60 ans, a toujours laissé faire. Elles ne se sont jamais révoltées. C'est une génération qui s'est habituée à se taire. De nombreuses femmes à qui nous avions demandé de témoigner ont refusé de le faire en raison de leur mari et de leurs enfants.

Q.
Est-ce que l'émancipation des femmes aurait été plus rapide sans le régime franquiste?

R. Oui. Avant Franco, l'Espagne vivait en démocratie et le divorce avait déjà été légalisé. Mais lorsqu'il est arrivé, la société a fait de nombreux pas en arrière. Sur le plan du divorce par exemple, cette pratique a été interdite.

Q. Est-ce qu'en raison de cette longue parenthèse, l'émancipation des femmes espagnoles a aujourd'hui encore du retard sur celles d'autres pays?

R. À mon avis, les Espagnoles sont aujourd'hui plus émancipées que la plupart des autres femmes. C'est inexplicable… Mais le fait est qu'au niveau de l'Europe, la femme espagnole est en avance. On me demande souvent comment les conditions des Espagnoles ont pu se rendre aussi loin. Durant longtemps, la France et l'Allemagne ont servi de modèle en matière d'émancipation des femmes alors que de nos jours, c'est l'Espagne qui sert de modèle.

Q. Quel est le dénominateur commun des femmes que l'on voit dans votre documentaire ?

R. Elles ne voudraient jamais que d'autres femmes vivent ce qu'elles ont vécu. Elles ont une nostalgie de la liberté qu'elles n'ont pas eue.

Q. Votre propre mère a-t-elle été victime de ce régime ?

R. Oui et elle m'en a beaucoup parlé. Je vais vous raconter une anecdote. Chez nous, nous sommes cinq enfants. Après avoir eu les deux premiers, ma mère n'en voulait plus. Mais à l'église, on disait aux gens que le seul moyen contraceptif permis était de prier. Ma mère a beaucoup prié. Et elle a eu trois autres bébés!

SENORA DE SERA PROJETÉ…

Aujourd'hui au Quartier latin (salle 11) à 21h40
Demain, 30 août, au Quartier latin (salle 11) à 14h40