Depardieu l'amoureux des mots, Depardieu l'épicurien, Depardieu l'irrévérencieux: tous ont répondu présents lors de la classe de maître que l'acteur a dispensée lundi au cinéma Impérial.

Depardieu n'était pas pour autant maître de cette classe d'environ 950 spectateurs. Le rôle a plutôt été interprété par son bon ami Serge Losique, grand manitou du Festival des Films du Monde (FFM).

Assis l'un à côté de l'autre, les deux hommes ont discuté de l'évolution de la carrière de l'acteur et de celle du cinéma français en général. Gérard Depardieu a répondu - et parfois pas - aux questions de Serge Losique pendant environ une heure et demie.
D'entrée de jeu, l'«élève» Depardieu s'est montré fantasque en décrivant sa relation avec le réalisateur Bertrand Blier (Les valseuses, 1974).

«Le père (l'acteur Bernard Blier) avait réussi à nous brouiller, tous les deux, et on ne s'est pas parlés pendant un an. J'ai failli le pousser dans un ravin», a-t-il lancé.
L'acteur, qui a fait allusion à sa témérité à plusieurs reprises lors de son allocution, ne s'est toutefois pas contenté de décocher des flèches.

Certes, il a évoqué trois fois plutôt qu'une la rigueur démesurée du réalisateur Francis Veber, un «pervers» qui «fait faire 78 prises, ce n'est pas normal» et s'est permis de critiquer Jean-Luc Godard, un intellectuel qui «ne sait par écrire pour le cinéma». Serge Losique s'en tapait les cuisses - et parfois même celles de son ami, qu'il connaît depuis 35 ans et qu'il a dit n'avoir eu aucune difficulté à convaincre de participer à cet événement de clôture au 34e FFM.

Mais le naturel du monstre sacré est vite revenu au galop. Comptant près de 200 films à son actif et environ 40 ans de métier, Gérard Depardieu a en effet vu le cinéma français évoluer de très près.

«Avec Bertrand Blier, on a eu une immense chance de rentrer dans cette époque où il y avait encore du cinéma, des histoires. C'était un cinéma que j'aimais beaucoup.»
Gérard Depardieu a aussi chanté les louanges de quelques artisans de ce cinéma, dont les réalisateurs François Truffaut, Maurice Pialat et Claude Berri.

«Ces gens-là manquent beaucoup au cinéma français. (...) Tous ces gens qui sont partis, ils sont là tous les jours en moi. Il ne se passe pas une journée sans que je voie une chose comme eux. C'est pour cette raison, comme disait Proust, que la mort n'existe pas, car ils vivent en nous. Il y a beaucoup de gens comme ça qui vivent en moi sans arrêt»

L'amour des mots

L'acteur, qui a interprété le rôle du virtuose de l'alexandrin Cyrano de Bergerac en 1990, a témoigné à de nombreuses reprises de son amour pour la littérature et pour les mots.

«Je n'ai jamais eu la volonté d'être acteur, j'avais la volonté de parler. C'est grâce à la lecture, à (Jean) Giono et à son livre Le chant du monde que j'ai eu envie de transmettre mes émotions.»

Gérard Depardieu a puisé dans ses expériences personnelles pour se glisser dans la peau de Germain, un cinquantenaire analphabète que le réalisateur Jean Becker lui a proposé de jouer dans le film La tête en friche. L'acteur a d'ailleurs profité de son passage-éclair de 24 heures dans la métropole pour en faire la promotion. «J'ai été comme Germain. Mon père ne savait ni lire ni écrire. Ma vocation d'acteur, elle s'est faite uniquement par amour de la vie et par amour du verbe.»

Pas de classe

L'invitation à cet événement très couru - certains ont fait la queue pendant plus de deux heures pour y assister -promettait une «classe de maître», un cours pratique généralement donné par des experts qui fournissent des conseils et interagissent avec des apprenants.

«Je me serais attendue à voir un «master class», quelque chose d'un peu plus poussé», a dit une spectatrice à la sortie de la représentation. «Peut-être est-ce dû aux questions qui ont été posées», a poursuivi Andrée Bureau. Mais avec plus de 900 élèves, la commande était peut-être un peu lourde... La classe a cependant tout été sauf théorique puisque Gérard Depardieu l'a pimentée en puisant dans ses anecdotes personnelles. «C'était d'une générosité à tout rompre, et c'était très fidèle au personnage», a dit une autre spectatrice, Danielle Larocque.

Serge Losique voulait justement que l'exercice soit spontané: «J'ai écrit mes questions, mais lui n'a rien vu. C'était naturel, c'est pour ça que c'était bien», a-t-il expliqué après avoir sonné la cloche de la fin de la classe.