Une histoire de guerre et d'amour écartelée entre Montréal et le Moyen-Orient, des performances d'acteurs inoubliables, des chansons de Radiohead et 25 jours de tournage en Jordanie, près des frontières syriennes, israéliennes et égyptiennes: c'est Incendies, tourné par Denis Villeneuve d'après la pièce de Wajdi Mouawad, à l'affiche à compter de vendredi. La Presse en a rencontré les artisans, encore sous le choc de la réception chaleureuse faite au film en Europe (à la Mostra de Venise) et aux États-Unis (au Telluride Film Festival)...

Parfois, une image vaut littéralement 1000 mots. Les milliers et milliers de mots incandescents employés par le dramaturge Wajdi Mouawad pour sa pièce sont en effet devenus des images fortes, violentes, justes, troublantes dans le film de Denis Villeneuve. Du texte dramatique épique, homérique, est né un long métrage au confluent du thriller et de la tragédie grecque.

Un film qui se passe loin d'ici et en pleine guerre, mais qui est pourtant très personnel et où le Québec a son rôle à jouer, dans tous les sens du terme, comme le dit Denis Villeneuve: «C'est Wajdi qui m'a expliqué que, pour aider deux personnes engluées dans la colère, il faut absolument une troisième personne. C'est ça, le propos d'Incendies: il faut que la colère et les représailles sans fin arrêtent, mais pour cela, il faut une tierce partie. Ça, c'est nous, ici. C'est ce qu'on peut faire, même avec maladresse. On n'a pas le choix pour cela de s'impliquer, s'engager, de s'ouvrir...»

Dans Incendies comme dans les précédents longs métrages de Villeneuve (Un 32 août sur terre, Maelström, Polytechnique), la mort violente, non naturelle, infligée, est toujours un révélateur. «Je n'avais jamais fait ce constat avant, répond Denis Villeneuve quand on lui demande pourquoi cette récurrence. Je sais seulement que j'ai une peur viscérale de la haine. J'ai peur des autres, de ce qu'ils peuvent infliger, que ce soit la mort, la torture, la souffrance...»

Le jeune cinéaste est manifestement épuisé. Depuis ce matin, il répond aux questions des journalistes québécois qui se pressent dans un hôtel du Vieux-Montréal, alors qu'il n'a pas vraiment dormi depuis cinq jours, toujours entre deux avions, deux festivals, deux projections, deux ovations monstres... Désolée pour le mauvais jeu de mots, mais la sortie d'Incendies l'a brûlé.

C'est que, depuis cinq ans, il porte ce film. Il faut avoir vu ou lu la pièce pour mesurer le travail titanesque du cinéaste. En écrivant, réécrivant et réécrivant encore le scénario, Villeneuve a peu à peu fait de la place au silence et au réalisme, a coupé ou modifié des personnages, a même réussi à intégrer deux ou trois petites notes d'humour dans un univers sombre... Bref, il en a fait un long métrage très personnel à portée universelle.

Il a ainsi transformé le personnage du notaire, notamment parce que Villeneuve vient lui-même d'une lignée de notaire: père, grand-père et oncles!

Et c'est «à nos grands-mères» qu'il a dédié ce film qui est à la fois thriller, film de guerre et drame familial: «Mes deux grands-mères, Simone et Melinda, étaient des personnages, des géantes. Or, dans Incendies, c'est la grand-mère qui est porteuse de changement. Je trouvais important de souligner que des femmes d'une autre génération ont beaucoup fait pour rompre le cercle vicieux, changer les choses.» Et éteindre parfois des incendies.

Incendies de Denis Villeneuve en salle à compter du 17 septembre. Une production de micro_scope, en coproduction avec TS Productions.