L'ombre malicieuse et irrévérencieuse de Claude Chabrol a flotté vendredi à la Cinémathèque française à Paris, à l'occasion de la cérémonie hommage au cinéaste disparu dimanche à l'âge de 80 ans.

Une cérémonie aussi sobre que solennelle, mais avant tout à l'image de «Chacha», ainsi que le surnommaient affectueusement ses proches, puisque, comme l'a rappelé Serge Toubiana, directeur de la Cinémathèque, «Claude était profondément athée et agnostique».

Un simple cercueil de chêne clair, posé devant le «temple» que représente pour le «métier» la Cinémathèque française, un portrait en noir et blanc grand format du défunt, la pipe au bec et l'écharpe au cou, mais le regard plus scrutateur que jamais. À même le sol, quelques gerbes de fleurs: tel fut le décor planté pour la dernière scène de Chabrol, avec en toile de fond, la verdoyante place Paul Belmondo dans le quartier de Bercy.

Dès midi, quelque 400 personnes, proches du défunt ou personnalités du 7 art, étaient présentes sur place. Parmi elles, son épouse Aurore Pajot, sa fille Cécile Maistre, née de cette dernière union, mais aussi son fils Thomas, au côté de sa mère la comédienne Stéphane Audran. Également présentes, les comédiennes Isabelle Huppert, Mathilda May, Nathalie Baye, Sandrine Bonnaire et Ludivine Sagnier et leurs confrères Michel Piccoli, François Cluzet et Édouard Baer et la cinéaste Agnès Varda.

Près de 200 anonymes, maintenus derrière des barrières, ont également assisté à la cérémonie, dont le coup d'envoi a été donné par un vibrant hommage à celui qui fut aussi l'un des chantres de la Nouvelle vague, par le président de la Cinémathèque, le cinéaste Constantin Costa-Gavras.

Au pupitre, Serge Toubiana a salué «le «Chacha» prolifique», qui a tourné un film par an depuis 1957 et s'est souvenu d'un entretien en forme d'inventaire à la Prévert réalisé pour Les Cahiers du cinéma en 1997, dans lequel Chabrol livrait pour chacune des lettres de l'alphabet, ses pensées et aphorismes.

Ainsi, la lettre «A» lui évoquait Aurore, sa dernière épouse, «la femme qui fournissait 92 pour cent du bonheur qu'il connaissait», disait-il, mais aussi (Stéphane) Audran, avec qui il devait tourner une vingtaine de films. Il avait ainsi reconnu «qu'il était plus teigneux avec elle qu'avec les autres».

Prié de dire s'il était «un grand cinéaste», Chabrol répondait, pince sans rire, «qu'il était un cinéaste de 1 m 74, et même 1 m 73, parce qu'avec le temps, on se tasse», a rappelé Serge Toubiana, ajoutant que Chabrol disait n'avoir ni angoisse ni ego, mais qu'il était fier «de le dire à tout le monde». «En plus d'être un grand cinéaste, il fut un de nos plus grands moralistes», a-t-il conclu, avant que ne s'égrènent quelques notes de la bande originale du film La décade prodigieuse.

«Je n'ai jamais su pourquoi il m'aimait, mais j'ai toujours su qu'il m'aimait», s'est souvenu, très émue, Isabelle Huppert, l'une de ses actrices fétiche. La comédienne a rappelé comment, éprouvée par la mort de sa propre mère lors du tournage de Madame Bovary, Chabrol l'avait accompagnée et lui avait permis de dédier le film à cette dernière. Car, disait-il, «il ne faut pas laisser la mort grignoter le vivant», mais au contraire rire de tout. «Tout me fait rire», plastronnait Chabrol. «Même me casser la gueule me fait rire...»

«Il m'a appris à reconnaître les cons, les petits cons et les grands cons», a déclaré sa fille Cécile Maistre. «Restons vigilant et malicieux et irrévérencieux et continuons à boire du bon vin», a-t-elle lancé à l'assistance, en référence à la personnalité balzacienne de son père, que son épouse Aurore Pajot surnommait indifféremment l'«Ayatollah Comédie» ou «Direction assistée».

Lisant l'introduction des mémoires du défunt à paraître prochainement, le ministre de la Culture Frédéric Mitterrand a évoqué comment Claude Chabrol avait failli ne jamais voir le jour, ses parents ayant été victimes d'un accident de chauffe-eau, alors qu'ils voulaient prendre un bain ensemble quand sa mère était enceinte de trois mois. Ce qui a fait écrire au cinéaste pince sans rire cette phrase savoureuse: «L'histoire de ma vie a commencé par l'annonce de mon trépas.»

Claude Chabrol devait être inhumé dans l'après-midi dans la plus stricte intimité au cimetière parisien du Père-Lachaise.