Avec son nouveau film documentaire, Bull\'s eye, un peintre à l\'affût, le réalisateur Bruno Boulianne s\'est longuement attardé à la démarche artistique du peintre Marc Séguin. Mais sa propre démarche de créateur est tout aussi fascinante. Histoire d\'un cinéaste qui accumule les rencontres extraordinaires.

Fils d\'un architecte, le cinéaste Bruno Boulianne n\'a pas suivi les traces de son père. Mais il existe un parallèle entre son boulot et celui du paternel. Derrière les personnages, Bruno Boulianne aime voir de quoi ils sont faits. Comment, en somme, ils sont construits.

Cette révélation, Boulianne l\'a eu au cours de la période 1990-1991 alors qu\'il participait à la Course Europe-Asie où d\'autres concurrents s\'appelaient Denis Villeneuve, Karina Goma et Patrick Masbourian.

Il venait aussi de laisser tomber ses études en journalisme à l\'Université du Québec à Montréal pour se tourner vers la caméra, faisant là ses premiers pas de documentariste. Un parcours qu\'il n\'a jamais regretté et qui l\'a récemment amené à réaliser Bull\'s Eye, un peintre à l\'affût, film sur la démarche artistique du peintre Marc Séguin.

«La caméra m\'a permis de faire des rencontres extraordinaires, de vivre des situations que je n\'aurais probablement pu vivre autrement, soutient-il pour expliquer ce choix. Les gens venaient à moi. J\'allais aux gens. La pudeur tombait. Au retour, je n\'ai eu qu\'une envie: continuer. Continuer à faire des images, à raconter des histoires et à les partager avec les gens. Et continuer à rencontrer l\'Autre avec un grand A.»

L\'Autre, ce furent les Souverains anonymes, animateurs de radio dans une prison dans le documentaire Des hommes de passage, les pilotes de brousse dans Aviature, les sapeurs forestiers de Pompier boréal, un couple de l\'île d\'Orléans qui salue le passage des grands navires dans Un cirque sur le fleuve.

«J\'aime les gens qui ont un rapport particulier au territoire dans lequel ils vivent, dit Bruno Boulianne. Je considère que c\'est dans le territoire qu\'on peut se révéler vraiment en tant que personne.»

Il pouvait difficilement mieux tomber avec Marc Séguin, un ami qu\'il avait connu à l\'école secondaire. Leurs chemins se sont séparés pour se recroiser bien des années plus tard, alors que Séguin s\'est fait un nom parmi les artistes québécois en art visuel les plus cotés au Québec comme à l\'étranger.

Le moment de grâce

Marc Séguin est un peintre hors normes. Un être de silences, contemplatif, réfléchi et dont le rapport -d\'une intensité inouïe- avec la nature trouve une résonance dans sa démarche artistique. C\'est cet effet miroir du personnage que Bruno Boulianne cherche à cerner dans son documentaire.

Dans Bull\'s eye, on découvre Marc Séguin, peintre au travail dans son atelier sans fenêtre de Brooklyn, et Marc Séguin, résidant de la campagne québécoise qui affectionne le travail dans le potager avec ses deux fillettes, son érablière et, surtout, la chasse.

Pas la chasse pour tuer mais pour communier. La chasse pour vivre à fond dans la nature.

«Comme Marc le raconte dans le film, lorsqu\'on est en forêt, on peut attendre des heures et des heures dans le silence et tout à coup, une bête apparaît, arrivant de nulle part. Il y a là un moment de grâce, soutient le réalisateur. Pour lui, cela a une résonance avec l\'image à peindre qui apparaît soudain et qui prend vie sur la toile. Sur le plan cinématographique, je trouvais que c\'était un parallèle très fort.»

Cette communion avec la nature fait en sorte que le chasseur en Marc Séguin ne sera pas frustré s\'il revient bredouille. Ce qui n\'est pas le cas avec son travail d\'artiste.

«En création, Marc refuse d\'être bredouille, constate Boulianne. Il ne veut pas rater son coup. Ça aussi, c\'était intéressant. D\'où le titre du film. Au sens propre, bull\'s eye, c\'est la cible atteinte pour le chasseur. Au sens figuré, ça peut signifier plein de choses comme le fait qu\'un peintre réussisse son cycle de production. Le bull\'s eye devient un point de jonction où je voulais que les deux mondes (de Séguin) se rencontrent.»