Après les films à petit budget, voici les «films jetables», une tendance en cinéma qui fait des adeptes jusqu'à Montréal.

Plus besoin d'une caméra à 5000 $ pour faire un film. Trop pauvres pour s'offrir des «productions» dignes de ce nom, de jeunes réalisateurs se rabattent désormais sur les outils les moins chers du marché: téléphones cellulaires, webcams, caméras de (très) mauvaise qualité et même caméras de surveillance.

Cette nouvelle tendance, qui fait de plus en plus d'adeptes, s'est largement répandue sur YouTube, Vimeo et dans les médias sociaux. Pour le meilleur et le pire, n'importe qui peut désormais s'improviser cinéaste et diffuser ses «oeuvres» sur la Toile.

Mais certains ont compris qu'au-delà de leur amateurisme apparent, quelques-uns de ces films pouvaient annoncer l'avenir du cinéma.

C'est le cas de Carlton Evans, cofondateur du Disposable Film Festival de San Francisco, un événement exclusivement consacré à ce qu'il est désormais convenu d'appeler le «film jetable» - dont nous verrons les meilleurs échantillons cette semaine dans le cadre de Pop Montréal.

Montréalais d'origine, M. Evans a lancé sa manifestation il y a trois ans, quand il a réalisé tous les possibles de ce cinéma hyper accessible. Selon lui, l'ère du film jetable marque carrément la naissance d'un «nouveau langage cinématographique», qui doit beaucoup à la spontanéité du médium.

Lui-même réalisateur, il reconnaît d'emblée que le genre a ses limites. Le son est un problème permanent, les éclairages sont approximatifs et la pixellisation peut rebuter les adeptes d'une image corporative lisse. Mais ces «contraintes créatives» ne sont, croit-il, qu'un petit prix à payer pour tout ce qu'on peut en tirer.

«Maintenant, n'importe qui peut faire un film de façon légère et immédiate, explique-t-il. Il en sort toutes sortes d'expérimentations qui exploitent les carences techniques, bien sûr, mais aussi des histoires qu'on ne verrait pas dans le cinéma traditionnel, qui est malheureusement marqué par une accumulation de compromis.»

Si l'on en juge par les oeuvres qui seront montrées ce soir à Montréal, le film jetable est en effet plus proche du cinéma d'art et d'essai que de la superproduction hollywoodienne. Couleurs saturées, narration poétique, peinture sur papier hygiénique (voir encadré), collages, photomontages, images manipulées et scénarios déjantés composent l'essentiel de cette programmation éclectique, où la nécessité est clairement mère de l'invention.

Faut-il en déduire que ce nouveau type de cinéma est voué à l'underground? Rien n'est moins sûr. Un circuit pour jeunes cinéastes est en train de s'organiser autour du concept. D'autres festivals ont déjà été fondés sous la bannière à Londres, Paris, Bruxelles et Los Angeles. Après Montréal, Boston et New York doivent entrer dans la danse.

Reste à voir quel génie sortira de cette bouteille. Selon Carlton Evans, la qualité des productions va en s'améliorant, et des talents «jetables» ont déjà commencé à émerger. Le collectif Red Bucket et la jeune réalisatrice Skyler Buffmyer (gagnante de l'édition 2010) ont ainsi été invités à Sundance sur la foi de leur participation au Disposable Film Festival.

Histoire à suivre.

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Le Festival du film jetable est présenté jeudi le 30 septembre à 20 h à l'Agora Hydro-Québec.

Christophe Jordache: jetable comme du papier hygiénique

Gros plan sur un carré gris. Un «buzz» oppressant vrombit en fond sonore. Des formes s'animent. Une planète. Un extraterrestre. Une soucoupe volante qui se pose sur une planète. Puis tout explose. Se disloque. S'émiette et se transforme en formes abstraites. Bienvenue dans le film Fiesta du Montréalais Christophe Jordache, finaliste au dernier Disposable Film Festival de San Francisco. Cet étonnant petit film d'animation, qui a la particularité d'avoir été entièrement conçu sur du papier hygiénique, a nécessité plus de 25 rouleaux de la chose et quelques stylos bon marché achetés chez Dollarama. «Être remarqué au Disposable Film Festival ne m'a rien donné en termes de retombées économiques, mais ce petit film a quand même circulé dans les galeries d'art», lance l'artiste visuel de 35 ans.