Dans le cadre de sa programmation sur les 50 ans de la Révolution tranquille, la Cinémathèque québécoise présente ce soir une rencontre avec les cinéastes Monique Fortier et Anne Claire Poirier sur le thème La parole des femmes. La Presse s'est entretenue avec Mme Poirier qui se remémore le chemin parcouru pour prendre sa place.

Un jour, à l'Office national du film où elle a réalisé des films sur la condition féminine, un des collègues masculins de la cinéaste Anne Claire Poirier lui a balancé: «C'est bien beau, ce que tu fais, mais c'est la population qui paie pour tes états d'âme.»

«Je lui ai répondu que quand eux (ses collègues masculins) font des films sur le décapage de meuble ou la chasse, c'était aussi aux frais de la population. Et ce sont vos états d'âme», lance-t-elle en éclatant de rire.

Première femme à tourner des longs métrages à l'ONF, Anne Claire Poirier avait beaucoup de choses à dire. Des revendications, des affirmations. Des questionnements aussi. Comme dans le très beau film De mère en fille qui sera présenté ce soir à la Cinémathèque québécoise.

Dans ce long métrage tourné en 1967, la cinéaste suit la maternité d'une femme (Liette Desjardins) en ajoutant en voix hors champ ses réflexions sur la place et le rôle des mères dans une société en pleine ébullition.

«C'était proche de moi, poursuit-elle. J'étais une mère avec de jeunes enfants et je travaillais. Les réflexions étaient les miennes, mais je les partageais avec beaucoup d'autres femmes. Nous étions plusieurs à vivre de telles frustrations. Ce n'étaient pas que nos états d'âme!»

Pour Anne Claire Poirier, la Révolution tranquille ne relève pas d'une «génération spontanée». Des bouillonnements d'idées, des volontés de changement, il y en avait aux quatre coins du monde. Comme plusieurs autres Québécoises, elle y participe, en y greffant ses propres préoccupations.

«J'avais aussi des revendications flagrantes qui devaient être faites sur le plan de la reconnaissance, de l'autonomie et de l'identité des femmes. Il y avait une part de participation dans la société qui nous échappait.»

Années «fofolles»

Dans ces années un peu folles et ultra-créatives de l'ONF, les remarques machistes faites directement à Mme Poirier restent dans la marge. Elle sent bien quelques humeurs dans son dos, mais souligne l'appui de ses collègues. «Je sais que des confrères, au début, ont pensé que j'étais là par caprice et qu'après deux ou trois ans, j'allais me marier et oublier ça.»

Ceux-là ont sans doute déchanté le jour où ils ont visionné De mère en fille, dans lequel la cinéaste porte un regard intéressé et nuancé sur un système avant-gardiste des garderies en Tchécoslovaquie.

Aujourd'hui, elle croit que son film, dans sa forme, est dépassé. Mais il reste des questions non réglées. Même des questions de garderies!

«Les femmes cinéastes d'aujourd'hui ont exactement les mêmes problèmes que j'avais, dit Mme Poirier. À mon époque, il n'y avait pas de garderies. Aujourd'hui, il y en a, mais uniquement pour les femmes ayant un horaire régulier. Moi, je dis aux femmes cinéastes de réclamer des gardiennes spécifiques pendant un tournage et d'ajouter ces frais au budget du film. On me dit que ça n'a pas de bon sens. Mais oui, cela en a!»