Il existe deux incarnations de ce projet hors normes: un film de 2h45, plus factuel, et un autre de 5h30, plus romanesque, diffusé le plus souvent à la télé. Pour l'auteur cinéaste Olivier Assayas, Carlos manifeste avant tout un plaisir immédiat de cinéma.

Dès qu'il a lu les quatre pages d'un synopsis que lui a remis le producteur Daniel Leconte, Olivier Assayas a su qu'il avait un projet hors normes entre les mains.

«Tel qu'il m'a été présenté à l'époque, ce projet n'a plus rien à voir avec ce qu'il est devenu, mais il est clair que j'y ai tout de suite vu quelque chose de très cinématographique, a raconté le cinéaste au cours d'une entrevue accordée à La Presse un peu plus tôt cette semaine. À mes yeux, il fallait prendre toute l'histoire de Carlos, plutôt que de s'attarder seulement à son arrestation. À travers lui, on peut raconter toute une époque, les années 1970, en évoquant le système géopolitique international d'avant la chute du mur de Berlin.»

L'écriture du scénario n'était même pas encore commencée qu'Assayas - dont le film précédent, L'heure d'été, était très intimiste - faisait preuve d'une belle ambition.

Très vite, le cinéaste a su que trois films seraient nécessaires pour faire écho au parcours du terroriste. Comme l'exploitation d'un film d'une durée de 5h30 est pratiquement impossible au royaume du complexe multisalles, Assayas imagine dès lors une autre version, d'une durée de 2h45 celle-là, expressément destinée au grand écran. Le tournage a duré 18 semaines. Et s'est déroulé dans sept pays.

«Honnêtement, j'ai écrit le scénario avec le sentiment que le film serait infaisable, que jamais on ne me laisserait tourner ce truc-là. J'ai donc écrit en toute liberté, en me laissant emporter complètement par cette histoire passionnante. On entre alors dans une espèce de logique interne où toutes les pièces du puzzle commencent à s'imbriquer au fil des révélations qu'on découvre. Afin d'avoir une base véridique sur le plan factuel, j'ai fait un travail de journaliste et d'historien. J'ai adoré. Une fois écrit, le scénario a beaucoup plu. Tous les feux sont passés au vert. Heureusement que je ne pouvais pas deviner cela au départ, car j'aurais probablement été intimidé devant l'ampleur de la tâche. Je n'aurais peut-être même jamais fait le film!»

Une polémique

Produit en grande partie par la chaîne spécialisée française Canal Plus, qui l'a diffusé en trois tranches, Carlos a créé une certaine polémique au Festival de Cannes à cause de son mode de production. Le film fut en effet écarté de la compétition en raison de sa paternité télévisuelle, bien que toute sa fabrication revendique une approche cinématographique.

«Je ne vois pas la version de 5h30 comme une minisérie, tranche Assayas. Pour moi, il s'agit d'un film de cinéma - qu'on peut voir en trois parties si on le souhaite ou qui peut être projeté dans les salles, dans sa continuité. Je suis d'ailleurs ravi que le Festival du nouveau cinéma donne l'occasion à ceux qui le désirent de voir cette version sur grand écran jeudi. Mais qu'il s'agisse de la version de 5h30 ou de celle de 2h45, on parle ici d'un film. Qui existe dans deux incarnations différentes, avec, chacune, leur existence propre. La version plus courte s'attarde principalement aux faits, en mettant de l'avant une approche plus journalistique. La version longue est plus romanesque, plus ample. Ce sont deux objets distincts. Deux films de fiction fondés sur une matière documentaire.»

L'idée de raconter aujourd'hui de façon véridique et réaliste le parcours de l'un des terroristes qui ont marqué notre histoire récente s'est révélée très stimulante aux yeux du cinéaste.

«Jusqu'à maintenant, on n'évoquait que le mythe, fait valoir Assayas. Personne ne connaissait vraiment l'histoire de Carlos. Sa notoriété fut pratiquement accidentelle, mais le mythe s'est installé dans notre inconscient collectif pour des raisons inexplicables. Carlos n'était qu'un exécutant. Il n'a jamais été un leader ni conçu lui-même les attentats auxquels il a participé. Il a pourtant cristallisé les fantasmes d'une époque. Il fallait maintenant détacher le personnage du mythe. C'est ce que permet le recul du temps.»

Un acteur remarquable

Ilich Ramirez Sanchez, mieux connu sous le pseudonyme de Carlos, emprunte à l'écran les traits d'Edgar Ramirez. Bien que déjà remarqué dans quelques films (Domino, The Bourne Ultimatum, Che), l'acteur vénézuélien explose à l'écran en faisant écho à toutes les facettes d'un personnage très complexe, y compris les plus répugnantes.

«Il m'importait que le film soit authentique, tant sur le plan des lieux que sur celui des langues parlées, explique l'auteur cinéaste. Il était fatal que je rencontre Edgar, probablement le seul acteur vénézuélien qui pouvait jouer Carlos. Il fallait l'accent d'origine, bien sûr, mais aussi un acteur qui puisse converser couramment en français et en anglais. Il devait aussi être doté d'une forte présence à l'écran, avoir du charisme, et avoir un âge où il peut être aussi crédible dans la peau d'un jeune homme de 20 ans que dans celle d'un homme de 45 ans. Au départ, Edgar possédait déjà toutes ces qualités. Le miracle, c'est qu'il est aussi un acteur exceptionnel. J'ai rarement vu quelqu'un s'investir autant dans un rôle!»

Du fond de sa geôle, où il purge une peine d'emprisonnement à vie, le «vrai» Carlos a évidemment vu le film.

«Mes producteurs pensaient qu'il allait nous poursuivre en justice, mais il ne s'est jamais manifesté, relate Olivier Assayas. En revanche, il a accordé une interview à un journal allemand dans laquelle il s'est plaint de la nudité! Tous les témoignages vont pourtant dans le même sens et évoquent son rapport obsessionnel, narcissique et malsain avec son corps. J'en ai d'ailleurs fait l'un des sujets du film.»

Carlos est présenté au Festival du nouveau cinéma jeudi prochain dans sa version de 5h30. Il prend l'affiche en salle vendredi dans une version de 2h45.