Luc Côté et Patricio Henriquez se sont lancés, seuls, dans Vous n'aimez pas la vérité - 4 jours à Guantánamo tant par devoir citoyen que par défi artistique.

«Surpris», «fascinés», «indignés»...

Luc Côté et Patricio Henriquez sont passés par bien des émotions quand, à partir de l'été 2008, ils ont commencé à décortiquer et à rabouter les sept heures d'interrogatoire d'Omar Khadr, enregistrées cinq ans plus tôt à la prison américaine de Guantánamo.

À la demande des avocats canadiens de Khadr, qui s'est reconnu coupable mardi du «meurtre» d'un soldat américain en Afghanistan en 2002, la Cour suprême du Canada venait d'ordonner au gouvernement de déclassifier certains documents relatifs à la détention illégale d'Omar Khadr. Ce citoyen canadien avait 15 ans au moment des événements qui ont mené à son «arrestation».

«J'avais le sentiment que nous devions faire quelque chose. Par devoir citoyen», explique Luc Côté, documentariste depuis toujours et réalisateur, entre autres, d'Avoir 16 ans (1994), primé partout dans le monde. Patricio Henriquez, lui, s'intéressait au cas Khadr «par intérêt personnel». Le cinéaste d'origine chilienne, venu au Québec après la chute d'Allende, a remporté le Jutra du meilleur documentaire pour Sous la cagoule - Voyage au bout de la torture en 2009.

Ici, le matériel était unique: «Le Canada est le seul pays du monde où des images de l'intérieur de Guantánamo ont été rendues publiques.» Les avocats de Khadr ont mis des extraits de 10 minutes sur le web dont 30 secondes ont vite fait le tour du monde: ces images d'un adolescent de 16 ans qui, en sanglots, réclame sa mère - «Ya ummi! Ya ummi!». Henriquez et Côté en ont fait un court métrage, mais, plus ils avançaient dans la reconstitution de la conversation entre Khadr et un agent des services de renseignements canadiens, plus ils se sentaient obligés d'en faire un documentaire de 90 minutes. Ils ont mis deux ans à réaliser leur film. Seuls, sans subvention.

«La réponse venait vite, dira Côté. C'était non partout: personne ne voulait toucher à ça.» Personne, sauf Canal D, qui a acheté les droits de télévision. Le documentaire, par ailleurs, a été réalisé «en association» avec Amnistie internationale qui a «facilité certains contacts».

«Notre défi, explique Henriquez, était de faire un documentaire avec ces images et ce son de piètre qualité. C'est du cinéma engagé, certes, mais je ne suis pas un missionnaire: je suis un cinéaste qui respecte son art.»

À «l'épine dorsale» que constitue l'interrogatoire, le tandem a greffé des témoignages de personnes qui connaissent Omar Khadr et son cas, unique dans les annales internationales: la journaliste Michelle Sheppard, du Toronto Star, auteure de Guantánamo's Child - The Untold Story of Omar Khadr; l'avocat militaire (américain) de Khadr, son psychologue (militaire), des anciens compagnons de détention à Guantánamo et à Bagram (Afghanistan) où Damien Corsetti, qui avait alors 22 ans, a servi comme interrogateur dans les services spéciaux américains: «Omar Kadr avait 15 ans; il était comme tous les ti-culs de 15 ans. Mais nous, on avait la haine... J'ai été un monstre et je dois vivre avec...»

La mère et la soeur d'Omar Khadr, qui sont aussi dans le film, devaient assister hier soir à la première torontoise de You Don't Like the Truth (les paroles de Khadr à ses interrogateurs), seul film canadien et l'un des 15 films en compétition au festival du documentaire d'Amsterdam, en novembre.

«Peu importe l'actualité, soutient Luc Côté, le film va vivre.» Parce qu'il touche plusieurs problématiques, selon Patricio Henriquez, celle, entre autres, du soldat-enfant citoyen d'un pays qui s'est mis «hors la loi».

Le film est à l'affiche du Cinéma Parallèle.