À l'heure où certains accusent le cinéma québécois d'être trop tourné vers son nombril, le réalisateur Ivan Grbovic et sa coscénariste Sara Mishara donnent une réponse toute simple: «Nous, on parle de ce qu'on connaît.» Et ce que connaît cette nouvelle génération de cinéastes, c'est justement le Montréal multiculturel qu'ils montrent dans De grandes espérances.

Ce premier long métrage d'Ivan Grbovic - actif réalisateur de courts métrages et de vidéoclips - suit le parcours d'un jeune Montréalais d'origine libanaise atteint de paralysie cérébrale qui tente de faire sa place dans le monde. On y verra une famille d'origine libanaise tricotée serré, un père qui aime mal, son fils handicapé qui se rebelle, le tout en français et en arabe avec sous-titres.

«On a demandé à la famille de parler entre elle comme elle le ferait autour d'un repas. Ça donne du frarabe», explique Ivan Grbovic.

Eux-mêmes immigrants de deuxième génération, les deux scénaristes - Grbovic et Sara Mishara - estiment qu'il leur était plus facile de comprendre le rapport aux traditions en choisissant une famille qui a la même histoire que la leur. «Mais ce n'est ni un portrait sociologique ni un documentaire», lance le cinéaste qui a voulu tourner l'histoire toute simple d'un jeune homme qui cherche à s'épanouir. «Un film de passage», ajoute Sara Mishara.

Le film en est à ses derniers jours de tournage cette semaine, et tout le monde semblait satisfait dans le petit appartement du Plateau Mont-Royal où ont eu lieu les dernières prises.

«C'est vers la fin qu'on peut prendre le pouls. Et le pouls est bon», juge le réalisateur. Le tournage, qui a duré 28 jours et est doté d'un budget de 1,1 million, s'est fait dans une trentaine d'endroits, du centre-ville de Montréal au parc Painter, dans l'arrondissement de Saint-Laurent.

«On a voulu montrer Montréal, les couleurs d'automne, sa beauté», explique Sara Mishara, qui est aussi directrice photo du film. Plus associée à une esthétique «grise» (Tout est parfait, Continental, un film sans fusil, La donation), elle affirme avoir laissé la place à la richesse du paysage de la ville. «Mais l'image suivra l'évolution du personnage», ajoute-t-elle.

Personnage handicapé

Le personnage central, qui s'appelle Rami, est incarné par Ali Ammar. Le réalisateur avait lancé une campagne de casting sauvage pour dénicher la perle rare, mais la partie a été plus facile que ce qu'il avait appréhendé. «Je pensais que ça durerait des mois!» s'exclame-t-il. Mais c'est la quatrième personne qui s'est présentée devant lui en audition qu'il a choisie.

«Dans le scénario, Rami est d'origine libanaise, a 22 ans, est handicapé et ses parents possèdent un restaurant.» Miracle, Ali Ammar répondait presque en tous points à la description du scénario. Atteint de paralysie cérébrale, celui qui étudie en psychologie au cégep d'Ahuntsic est né au Liban, a l'âge du personnage et sa mère possède un restaurant.

«Mais ce n'était pas juste ça, raconte Ivan Grbovic. Il s'était préparé, c'était très émouvant de le voir.»

Et le jeune «non-acteur» a visiblement répondu aux attentes: l'équipe ne tarit pas d'éloges à son sujet, vante sa capacité de travail et d'apprentissage. Ali Ammar, lui, savoure le moment présent et a été emballé par l'expérience. «Je la déguste», dit-il en souriant. C'est par hasard qu'il a auditionné, parce qu'un animateur du cégep a vu l'annonce sur un babillard et lui en a parlé. «J'ai beaucoup puisé en moi pour jouer Rami, mais Rami n'est pas moi. C'est un personnage qui cherche sa place dans la société, il est très rêveur et ne parle pas beaucoup. On voit ce qu'il ressent surtout par son regard.»

Jouer a représenté pour lui un défi de tous les instants. C'est le message qu'il voulait aussi lancer en participant à ce film: «Ce serait mentir de dire que c'est facile d'avoir un handicap, qu'on peut faire comme si de rien n'était. Mais mon message, c'est: «Lâchez pas.» On vit tous des épreuves, et ce sont des étapes qu'il faut passer. C'est déjà difficile de vivre, ça ne sert à rien de traîner du surplus sur son dos.»

Distribution casse-tête

Le jeune homme a entre autres donné la réplique à Joseph Bou Nassar, vu dans West Beyrouth, un «Morgan Freeman libanais», dit-il. La distribution a d'ailleurs été un joyeux casse-tête, raconte le producteur Paul Barbeau, de Reprise Films. Dans la famille de six personnes, seulement deux acteurs sont des professionnels. «On a pensé à se tourner vers des acteurs français, mais on voulait que ce soit le plus réaliste possible. Finalement, il n'y a que Joseph qui ne vit pas ici.»

Paul Barbeau croit très fort à De grandes espérances et il est prêt à attendre le moment propice pour le lancer - c'est-à-dire une sélection dans un festival d'importance. Il espère que son film profitera de l'ouverture créée par Incendies. Surtout, il ne le voit pas comme une réponse aux détracteurs de l'ethnocentrisme dans le cinéma québécois.

«C'est plus une question de statistiques, estime-t-il. Il y a davantage de jeunes comme Ivan et Sara qui font des films et qui ont une histoire différente de celle des plus vieux cinéastes. C'est une question de génération. Les réponses, elles sont seulement dans l'air du temps.»