Le réalisateur suisse Nicolas Wadimoff connaît le Québec pour y avoir étudié et coréalisé le film Clandestins avec Denis Chouinard. Il nous revient avec Aisheen, œuvre forte qui fait découvrir un autre côté de Gaza. 

Récompensé du Prix œcuménique à la Berlinale, le documentaire est présenté ce soir à 18 h 45 à la salle Claude-Jutra de la Cinémathèque québécoise dans le cadre des RIDM.

Q. Pourquoi ce documentaire?

R. À Noël 2008, j’ai vécu les bombardements d’Israël sur Gaza par procuration, en regardant les reportages à la télévision. Je me demandais ce que le cinéma pouvait faire dans ce cas-là. Parce que plus nous recevions des images, moins on comprenait et on sentait ce qui se passait. Après la fin des bombardements, j’ai reçu une offre d’un producteur travaillant avec la chaîne Al-Jazeera/Children Channel. Il voulait que je fasse un film sur la mémoire, qui laisse une trace sur ce qui s’est passé. Très vite, je suis parti pour Gaza.

Q. Dans quelles conditions s’est déroulé le tournage?

R. Une fois à l’intérieur, on se rend vite compte que nos accompagnateurs (des fixers dans le langage journalistique) nous emmènent toujours voir les mêmes personnes. Ce sont toujours les mêmes qui s’adressent aux médias internationaux. Il fallait sortir des sentiers battus pour faire un film entre les lignes. On voulait découvrir les lieux, s’y promener, humer ce qui se passait. En somme, je voulais prendre des chemins de traverse. Lorsque nous sommes arrivés, les bombardements avaient cessé depuis deux ou trois semaines. L’ambiance était, si j’ose dire, très cinématographique. Avec toute cette désolation, on se croyait dans un décor de Mad Max. Il y avait un rapport au temps très distant. Comme si les gens attendaient quelque chose. Ils erraient dans les décombres, les restes de leurs maisons, comme des âmes en peine. J’avais le sentiment d’être dans quelque chose de cotonneux.

Q. Qui sont ces gens que l’on rencontre dans le film?

R. Il y a eu une scène matrice du documentaire. C’est lorsque nous avons filmé une femme qui ramassait des petits morceaux de plastique, de porcelaine et de verre dans les décombres de sa maison. Elle devait faire ça, c’est comme si elle essayait de recoller les morceaux de sa vie. On s’est rendu compte que tout le monde essayait d’une manière ou d’une autre de reconstruire sa vie. À partir de là, le film a versé du côté des vivants. Il a pris une dimension poétique. On rencontre par exemple des jeunes qui essaient de reconstituer le squelette d’une baleine échouée sur la plage, un homme qui veut faire redémarrer ses manèges, un groupe de rap qui réalise un album avec des moyens de fortune, etc. Le titre, Aisheen, s’est imposé. C’est une expression arabe qui dit «Je vis», «On est là», «On est en vie.»