Il connaissait peu l'oeuvre de Mordecai Richler au départ, mais sa présence dans l'adaptation cinématographique du dernier roman de l'auteur montréalais relève maintenant de l'évidence. Pourtant, Paul Giamatti a eu ses doutes...

Lors de la conférence de presse tenue il y a quelques mois au Festival de Toronto à l'occasion de la présentation de Barney's Version, Paul Giamatti a exprimé ses appréhensions à l'idée d'interpréter le rôle-titre de l'adaptation cinématographique de l'ultime roman d'un auteur très célèbre, issu du milieu juif montréalais. Un certain Mordecai Richler.

«Voilà un personnage profondément ancré dans la culture, dont l'histoire est intrinsèquement canadienne, a-t-il alors fait remarquer. Et vous embauchez un type venu du Connecticut pour potentiellement tout gâcher?»

Bien sûr, la formule fut lancée pour faire sourire. D'autant plus qu'avec ses compositions mémorables dans des films comme American Splendor, Sideways ou Cinderella Man, Giamatti fait partie des acteurs les plus respectés de sa génération. Les risques de «gâchis» étaient d'office réduits au minimum.

Au cours d'une entrevue accordée à La Presse au lendemain de ce point de presse, l'acteur a pourtant confirmé que cette boutade traduisait néanmoins chez lui une vraie préoccupation.

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«Je ne voulais surtout pas avoir l'air de l'Américain arrogant qui interprète tout croche une culture qui n'est pas la sienne. Alors oui, quand j'ai rencontré le producteur Robert Lantos et le réalisateur Richard J. Lewis, je leur ai demandé très sérieusement si un acteur canadien n'aurait pas été mieux en mesure de rendre justice au personnage. Je sais à quel point Mordecai Richler est une icône en ce pays.»

Une oeuvre riche

Heureusement pour eux, et pour le film qu'ils étaient en train de fabriquer, Lantos et Lewis ont fait fi des angoisses de l'acteur sur ce plan. Paul Giamatti a ainsi hérité du rôle de Barney Panofsky, héros bougon en crise existentielle permanente, alter ego de Mordecai Richler. Le récit relate le parcours d'un producteur de télévision montréalais impulsif et instable dont la vie est marquée principalement par ses relations avec ses trois femmes (Rachelle Lefevre, Minnie Driver, et Rosamund Pike). Dustin Hoffman interprète de son côté le père du protagoniste, un homme à la langue bien pendue.

Avant de lire le scénario (signé Michael Konyves), Paul Giamatti était bien au fait de la réputation de l'auteur montréalais, mais il ne s'était jamais vraiment attardé à son oeuvre.

«Je ne le connaissais qu'à travers The Apprenticeship of Duddy Kravitz à vrai dire, précise celui qui est en lice pour le Golden Globe du meilleur acteur de comédie grâce à sa performance. Dans mon esprit, j'avais un peu l'image d'un Philip Roth canadien, mais dans les faits, l'univers de Richler me semble beaucoup plus riche. Ce rôle dans Barney's Version constitue en tout cas un véritable cadeau dans une carrière. Et comme le récit s'étale sur plusieurs années, je vieillis à l'écran. Il est toujours intéressant pour un acteur d'aller explorer ces zones-là.»

Paul Giamatti fait partie de ce que nos amis anglos appellent lescharacter actors. C'est-à-dire qu'il est de la race de ces comédiens qui s'effacent derrière leur rôle. Et qui offrent de véritables compositions. C'est généralement à eux qu'on offre des personnages secondaires.

«Je campe rarement un personnage principal dans un film, explique-t-il. Depuis quelques années, j'ai accès à de très beaux rôles au cinéma mais il a fallu attendre que je vieillisse un peu avant qu'on me les offre. Tout simplement parce qu'à 25 ans, je ne faisais pas du tout mon âge à l'écran. Il n'y avait rien de frustrant là-dedans, cela dit. Pendant qu'on me réclamait pour de tout petits rôles au cinéma le jour, je jouais du Tchekhov au théâtre le soir. Depuis que j'ai franchi la quarantaine, on dirait que l'âge qu'on me donne à l'écran m'a finalement rattrapé.»

L'acteur affirme aussi observer une différence notoire dans l'approche d'un personnage selon la présence qu'il occupe dans le film.

«Tous les rôles sont importants, fait-il pourtant valoir. Dans Barney's Version, les personnages secondaires sont d'ailleurs magnifiquement écrits et bien soignés. Quand tu arrives sur un plateau pour quelques jours de tournage, tu te dois d'être très bien préparé pour faire ton travail de façon efficace sans faire perdre de temps à la production. Pour un personnage principal, c'est un peu différent. Tu te nourris de ce que tes partenaires apportent et tu dois t'abandonner. Par exemple, l'aspect plus romantique du film ne devait pas être aussi accentué au départ. Cela s'est imposé progressivement.»

Une révélation

Ce tournage, bien entendu, s'est principalement déroulé à Montréal, ville dans laquelle l'acteur n'avait jamais posé les pieds auparavant. Giamatti s'est installé chez nous pendant trois mois pour les besoins de la cause.

«Je n'aime pas avoir l'air stupide, mais je sais que vos lecteurs penseront que je le suis de toute façon, dit-il en riant. En tant qu'Américain, la perspective d'un tournage à Montréal me semblait intéressante. L'idée d'entendre parler français à l'occasion me séduisait. Puis je suis arrivé. Et j'ai constaté que Montréal est une ville presque entièrement française! Comment ai-je pu être stupide au point d'ignorer tout de la richesse culturelle qu'il y a chez vous? Comment ai-je pu ne pas savoir d'avance à quel point cette ville est magnifique et unique au monde? Vraiment, je le dis sans flagornerie aucune, ce fut pour moi une véritable révélation. Et aussi une leçon d'humilité!»

Barney's Version (Le monde de Barney en version française) prend l'affiche aujourd'hui.