Pour la plupart des historiens, le Québec des années 70 se résume aux Jeux olympiques et à la grande vague fleurdelisée. Mais pour beaucoup de Québécois insouciants, ce fut aussi - et surtout - la grande époque du disco.

Comme partout ailleurs, dites-vous? Eh bien justement, non. Car Montréal fut un véritable épicentre de ce phénomène mondial (voir autre texte), rivalisant carrément avec New York au chapitre du nightlife et du glamour. Cette période d'effervescence, qui accoucha de son propre star-système et de ses boîtes à la mode, se termina hélas dans le désenchantement, comme un (très) dur lendemain de veille. Plusieurs y ont carrément laissé leur peau.

Le film Funkytown, qui prend l'affiche au Québec vendredi prochain, fait le portrait de cette époque dissolue. Réalisé par Daniel Roby (La peau blanche), ce long métrage est une pure fiction. Mais il s'inspire largement des belles nuits du bar le Limelight et, surtout, de l'histoire tragique d'Alain Montpetit et Douglas Leopold, deux animateurs vedettes du temps. Le premier est mort d'une surdose et serait responsable d'un meurtre pas totalement élucidé. Le second, notoirement homosexuel, a été emporté par le sida.

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Rebaptisés Sébastien Lavallée et Jonathan Aaronson, les deux personnages sont incarnés à l'écran par Patrick Huard et Paul Doucet. Raymond Bouchard (le producteur véreux), Justin Chatwin (le jeune danseur italien gai) François Létourneau (le gérant de boîte), Geneviève Brouillette (l'ex-chanteuse yéyé qui tente de suivre la vague) et Sarah Mutch (la top model ambitieuse) composent le reste de ce film choral à sept branches, scénarisé par Steve Galluccio (Mambo italiano).

Potentiel dramatique

C'est le producteur Simon Trottier (Martyrs) qui a eu, en 2003, l'idée de raconter la face cachée du disco québécois. «Au début, raconte celui-ci, je voulais faire un film sur une période magique. La part sombre n'est apparue que plus tard. Plus je parlais à des gens qui avaient connu cette période, plus j'ai réalisé que ça n'avait pas été si rose. Qu'il y avait eu la dope, la décadence! Que beaucoup y avaient perdu leur santé, leur famille et même leur vie.»

Daniel Roby, de son côté, a tout de suite vu le potentiel dramatique d'un tel sujet. «L'idée du déclin m'intéressait plus que le disco lui-même», explique le cinéaste de 41 ans, les yeux ronds comme des boules en miroir. Idem pour Steve Galluccio qui a immédiatement été séduit par cette histoire digne du boulevard des rêves brisés. «L'aspect jouissif du disco ne me tentait pas, car ce n'était qu'une illusion. Je voulais plutôt montrer les revers de la médaille, sans pour autant tomber dans le documentaire», résume Galluccio qui, à 50 ans, a connu les derniers soubresauts de cette grande fête seventies.

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Selon ce dernier, Funkytown permettait aussi de raconter, en filigrane, un moment important de l'histoire du Québec.

La gloire et la chute du disco, dit-il, correspondent aux dernières grandes années de Montréal comme capitale économique du Canada, qui allait progressivement céder sa place à Toronto après le premier référendum. «Le parallèle était facile à faire. Ce sont deux bulles qui ont éclaté à peu près en même temps» ajoute Daniel Roby.

«Mettons que c'était la fin du party. Avec les meilleurs bouts de la fête, mais aussi les dégâts à ramasser après», résume Patrick Huard.

Souci de réalisme

Facile de tomber dans la caricature avec un tel sujet, aussi triste soit-il. Chemises en fortrel avec col arrondi, bottes à plateforme, cheveux peignés au ventilateur: l'extravagante ère du disco a été raillée de tous bords et de tous côtés.

Conscients du danger, les artisans de Funkytown ont tout fait pour éviter le piège du gros cliché à la Boogie Wonder Band. En ce sens, les recherches de Simon Trottier et Daniel Roby ont beaucoup aidé. D'Yvon Lafrance (propriétaire du Limelight) au chanteur Martin Stevens, en passant par Georges Thurston et l'ancien DJ vedette Robert Ouimet, plusieurs acteurs de l'époque ont accepté de raconter leurs souvenirs. L'ex-starlette France Joli a même prêté quelques-unes de ses robes à la production. Pour des raisons que l'on devine, seul l'entourage d'Alain Montpetit a décliné les invitations à collaborer.

«On avait un souci de réalisme de tous les instants, souligne Daniel Roby. Les rares exceptions sont les scènes de discothèque, où on a plutôt essayé de traduire le souvenir idéalisé des gens.»

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Ce «souci de réalisme» a également incité Steve Galluccio à pondre un script bilingue, chose rare, pour ne pas dire rarissime, dans le cinéma québécois. Cela reflète non seulement la scène disco de l'époque (Montpetit et Douglas Leopold travaillaient dans les deux langues) mais aussi Montréal dans sa réalité. «Je voulais montrer la ville telle qu'elle a toujours été», explique le scénariste.

Une grosse production

Produit pour près de huit millions, Funkytown marque l'entrée de Daniel Roby dans les grandes ligues. Même s'il est déjà bien implanté dans le milieu (comme directeur photo notamment), le réalisateur de La peau blanche est conscient de passer à une autre vitesse.»C'est sûr que c'est une grande étape pour moi. Mais la vraie pression, elle vient surtout de mon souci de rendre justice à une période qui a marqué beaucoup de gens», lance-t-il.

Le film, qui dure plus de deux heures, a subi de nombreuses coupes au montage et dans le scénario d'origine. Appelons ça les impératifs budgétaires. Mais Simon Trottier aime tellement son sujet qu'il n'a pas dit son dernier mot. Le producteur prépare actuellement une série télévisée de 12 épisodes sur l'époque du disco à Montréal, en collaboration avec l'ancien propriétaire du Limelight. «Les 10 heures qui ont manqué pour Funkytown, on va les reprendre là, lance-t-il. On veut aller en profondeur et extrapoler plus sur les bas-fonds du Montréal disco.»

Sexe, coke et décadence à la télé? «Ce n'est pas moi qui vais me censurer, conclut Trottier. Je fais ce que j'ai à faire. On verra bien pour les diffuseurs.»