On pourrait appeler ça une nouvelle vague ou une révolution tranquille du journalisme.

Toujours est-il qu'au cours des années 60, des journalistes comme Louis Martin, Jean-Louis Gagnon, le père Georges-Henri Lévesque et Florian Sauvageau ont jeté les bases d'une nouvelle façon de faire du journalisme au Québec.

C'est ce qu'expliquent le dramaturge et comédien Alexis Martin et le cinéaste Louis Bélanger dans un documentaire consacré à Louis Martin, père d'Alexis.

«Papa, dit ce dernier avec affection, a été au coeur d'une certaine révolution, d'une tourmente dans la pratique journalistique. Au fond, ce documentaire est beaucoup une biographie intellectuelle. À travers lui, on examine toute une génération de journalistes qui ont rénové la façon de faire du journalisme.»

Mort le 22 janvier 2008 à la suite des corps de Lewy, maladie qui s'apparente à l'alzheimer et à la démence, Louis Martin a travaillé à La Presse, au Nouveau journal et au magazine Maclean's. Mais c'est davantage pour ses années à la télé de Radio-Canada qu'il est connu. Ses entrevues rigoureuses et sans complaisance, notamment à l'émission Format 60, ont fait date.

Au point d'ailleurs où des documents retrouvés par Bélanger et Martin démontrent que, sous l'ère du gouvernement Trudeau, on a menacé de mettre Radio-Canada en tutelle si les journalistes, notamment ceux de Format 60, ne cessaient pas de faire un journalisme de combat.

Un virage nécessaire

Le virage était pourtant nécessaire. Avant l'émergence d'une nouvelle génération, les journalistes étaient davantage des porte-parole des instances publiques qu'autre chose, disent les deux protagonistes. Ils se faisaient perroquets d'une information, sans analyse ou recherche d'opinions différentes.

«C'est la grisaille, dit Alexis Martin. Les journalistes ne se commettent pas. Les journaux sont beiges. On n'attaque jamais le gouvernement, il n'y a pas d'analyse ou d'interprétation.»

Arrivent alors Jean-Louis Gagnon et d'autres qui fondent le Nouveau journal. L'organe de presse dure peu de temps, mais brasse les colonnes du temple. Ces jeunes voulaient un journalisme fouillé, d'enquête.

Un journalisme inspiré de ce qui se passait ailleurs, comme au New York Times.

Dans le documentaire, l'ancien directeur de L'actualité Jean Paré dit que ces jeunes dont il faisait partie se sentaient investis d'une mission de progrès social.

Alexis Martin réfléchit à ce projet de documentaire depuis quelques années déjà. À la mort de son père, il avait évoqué ce projet au journal Le Devoir. C'est au moment du tournage du long métrage Route 132, pour lequel il était coscénariste et comédien, qu'il a demandé à son ami et réalisateur Louis Bélanger d'y participer.

Avec le monteur Stanley Brown, qui, aux yeux des deux comparses, joue pratiquement un rôle de coréalisateur tant sa présence est vitale, ils en sont à l'étape du montage. Le film doit être livré à RDI (Zone Doc) à la fin du printemps.

Pour Alexis Martin, la présence de Brown et Bélanger lui permet de conserver la distance nécessaire entre le fils et le père. «Dans la salle de montage, il y a une circulation d'idées entre nous, dit-il. C'est comme une enquête qu'on fait. Et un documentaire s'écrit beaucoup dans la salle de montage.»

L'attrait du documentaire

Louis Bélanger, qui avait coréalisé avec Isabelle Hébert le documentaire Lauzon/Lauzone sur le cinéaste Jean-Claude Lauzon, dit avoir besoin de se nourrir de cette forme cinématographique.

«Le documentaire est quelque chose dont j'ai besoin comme cinéaste, dit-il. C'est une autre grammaire cinématographique, mais qui est passionnante. Mes cinéastes préférés, dont Ken Loach, Michel Brault ou Bernard Émond, sont tous passés du documentaire à la fiction.»

Dans le film, Alexis Martin sert de fil conducteur entre chaque élément. Il interviewe plusieurs personnes qui ont connu son père et qui partagent les mêmes idées (Jacques Godbout, Florian Sauvageau, Pierre Godin, Yves et Luc Martin, Hélène Filion, Hubert Gendron, Jean Paré, Jean-François Lépine, Gisèle Lalande, Jean Dussault...).

«Je pars de sa chambre d'hôpital, à la suite de sa mort, et j'essaie de comprendre d'où il venait», explique Alexis Martin, qui voue une grande admiration à son père, très présent, malgré ses longues absences. «Je me souviens de tous ses voyages, en Europe, au Liban. Il revenait toujours avec un toutou ou quelque chose. Je recevais des cartes postales de partout dans le monde», se remémore-t-il, les yeux brillants.

Le documentaire sera résolument intellectuel, avec les idées en avant du reste. Tant Alexis Martin que Louis Bélanger espèrent mieux faire connaître ces «visages méconnus» au grand public et aux jeunes. Question de savoir d'où l'on vient!