Lire des scénarios. Rencontrer des producteurs. Décider laquelle de ses trois idées deviendra son prochain long métrage. Et dormir. Cela résume la semaine que Denis Villeneuve a passée à Los Angeles, qui culminera demain par la cérémonie des Oscars, au cours de laquelle Incendies recevra, ou pas, l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.

«J’ai du sommeil à rattraper. Je me couche de bonne heure, je ne fais pas la fête», indique Denis Villeneuve, qui semblait en effet reposé lorsque La Presse l’a rencontré au Beverly Wilshire, à deux pas de Rodeo Drive et de ses boutiques de luxe. L’hôtel où Pretty Woman a été tourné, précisent toujours les chauffeurs de taxi qui vous y déposent. C’est à peine si le réalisateur d’Incendies, finaliste à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, est au courant. Pas qu’il regarde de haut le rêve hollywoodien. Simplement, sereinement, il a les pieds bien ancrés sur terre. Réaliste. Heureux aussi. Pour Incendies, surtout.

«Si jamais je gagne, ce sera un plus pour le film.» Et il y croit, à cette victoire? Éclat de rire. «C’est maniaco-dépressif, mon affaire. J’ai des moments où je me dis que j’ai vraiment des chances. Et puis, le week-end dernier, je vais voir Biutiful. J’ai tellement aimé ce film! Et là, je me dis que c’est Iñarritu qui va gagner. Bref, ça dépend des heures, des rêves», résume-t-il.

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En attendant le grand jour, au cours de cette semaine passée à Los Angeles, il a travaillé. Mais moins qu’il le pensait – «Je suis dans l’œil du cyclone, c’est le calme avant la tempête». La tempête étant la campagne de promotion de plusieurs semaines qui entourera la sortie d’Incendies aux États-Unis, le 22 avril, distribué par Sony Pictures Classics.

En cette période pré-Oscars, le distributeur américain – qui s’occupe aussi d’In A Better Worldde Susanne Bier, l’un des films qu’«affronte» Incendies aux Oscars – ne déroge pas à ses méthodes habituelles.

«Ils ont une manière de faire différente de celle de Miramax (NDLR: qui a distribué Les invasions barbares de Denys Arcand aux États-Unis). Certaines personnes sont plus interventionnistes, d’autres moins. Chez Sony, ils font tout pour que le film soit vu par les membres de l’Académie, ils ne croient pas aux cocktails et à la séduction. Et j’aime cette stratégie, de tout miser sur le cinéma. Ça me plaît parce que je ne suis pas dans la vente, la séduction. Je suis très à l’aise avec leur attitude, quel que soit le résultat sur lequel ça débouche.»

Donc, pas de partys pour lui, cette semaine. Des rencontres avec des producteurs, «pas en grand nombre, c’est plus dans la qualité que dans la quantité. Ce sont des gens que je respecte, qui ont fait des films que j’aime». La lecture de scénarios que ses agents de Los Angeles lui font parvenir et sur lesquels il n’a jamais le temps de se pencher: «Je les lis pour ma culture personnelle, parce que c’est intéressant: les Américains ont une grande maîtrise de la structure dramatique, ils savent écrire et ce que je reçois est de qualité. Mais rien ne m’a vraiment séduit jusqu’à maintenant.»

Et puis, si un des scénarios en question l’intéressait, il sait pertinemment que le projet ne lui serait pas offert clés en main, qu’il devrait aller se vendre pour en prendre les rênes. Sauf qu’il sait aussi que la balle est dans son camp: depuis Polytechnique, il est dans la ligne de mire de producteurs américains. Ceux avec qui il a parlé au cours des derniers jours lui demandent ce qu’il veut faire, s’il a un scénario, un roman qu’il voudrait adapter. «Je ne m’attendais pas à trouver des gens potentiellement intéressés à ce que moi, j’aimerais faire. C’est une surprise agréable. Mais comme je n’ai rien pour l’instant, ça ne fait pas des conversations très longues», sourit-il.

Scénariste espagnol
«Rien» n’était pas synonyme de… rien de rien. Un jeune scénariste espagnol, Javier Gulon, lui écrit un scénario en ce moment. Un projet qui se fera en anglais, et sera produit par Niv Fichman de Rhombus Media. Et il a trois idées à lui: «Venir passer la semaine à Los Angeles, c’était aussi pour décider laquelle je ferais en premier.» Décider cela «dans cette ville mythique, c’est un peu surréaliste. Je suis conscient du mirage, mais je goûte aussi le plaisir du moment».

Plaisir que, vêtu d’un smoking Pelligrino Castronovo, il partagera avec sa blonde, Macha Grenon, quand ils fouleront demain le tapis rouge menant à l’intérieur du Kodak Theater. Après? Statuette dorée ou pas, il se donnera encore quelques semaines à Incendies. «Ensuite, il va me falloir retourner au cinéma. Je veux mettre en pratique ce que j’ai appris de Next Floor, Polytechnique et Incendies. Ce tourbillon n’est pas quelque chose qui nourrit intellectuellement, ça finit par devenir aliénant.»

Les pieds bien sur terre, Denis Villeneuve. Mais, aussi, qu’on se le tienne pour dit, un fantasme dans les étoiles: «Je rêve depuis 30 ans de réaliser un film de science-fiction.» Et il est prêt pour ce décollage.

Le parcours d'Incendies

Septembre 2010
Première mondiale à la Mostra de Venise
Prix du meilleur film à Venice Days
Prend l’affiche au Québec
Sélectionné pour représenter le Canada aux Oscars
Prix du meilleur film canadien au Festival international du film de Toronto
Prix du meilleur film canadien au Festival international du film de Vancouver
Présenté au Festival du film de Telluride (É.-U.)

Octobre 2010
Dépasse le million de dollars au box-office québécois
Prix du public au Festival international du film francophone de Namur
Grand Prix du jury au Festival international du film de Varsovie
Prix de la meilleure actrice à Lubna Azabal au Festival international du film d’Abu Dhabi
Prix du meilleur scénario, du public et du jeune jury au Festival international du film de Valladolid (Espagne)

Novembre 2010
Prix de la compétition nord-américaine – productions indépendantes au festival de Tallinn (Estonie)

Décembre 2010
L’un des cinq meilleurs films étrangers de l’année selon le National Board of Review

Janvier 2011
Selon le magazine Variety, Denis Villeneuve fait partie des 10 réalisateurs à suivre
Prend l’affiche en France
Demi-finaliste pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère
Prend l’affiche au Canada anglais
Finaliste pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère

Février 2011
Dépasse les 3 millions au box-office québécois
Dix nominations aux Génie
Dix nominations aux Jutra
Atteint presque les 150 000 entrées en France
Présenté au Festival international du film de Belgrade (Serbie)
Prix du public au Festival international du film de Rotterdam (Pays-Bas)
Cérémonie des Oscars

Mars 2011
Sortie du DVD