Des points communs entre la psychanalyse et la prostitution? La réalisatrice Jeanne Labrune en trouve plusieurs dans un film où Isabelle Huppert se retrouve tiraillée entre les deux professions.

Sur l'affiche de Sans queue ni tête, Isabelle Huppert arbore un costume d'écolière tout droit sorti d'un manga. Image étonnante évoquant le métier qu'exerce le personnage auquel elle prête ses traits. Dans le nouveau film de Jeanne Labrune, l'égérie de Chabrol incarne une prostituée d'expérience qui, lasse de ses clients, tente de trouver la force de changer de vie.

Pour ce faire, elle tente d'entrer en psychanalyse, mais on lui en refuse l'accès. En empruntant une approche d'apparence fantaisiste, l'auteure cinéaste dresse le portrait plutôt sombre d'une femme en crise.

«L'idée m'est venue de façon tout à fait inattendue, explique Jeanne Labrune au cours d'une interview accordée récemment à La Presse. En faisant un peu de ménage dans ma bibliothèque, je suis tombée par hasard sur un livre de Jacques Lacan dans lequel il parle de la «passe», un terme qui a fait surgir dans mon esprit l'idée de la prostitution. Or, Lacan fait plutôt écho dans cet ouvrage à ce moment ou une personne qui a fait une analyse devient elle-même analyste. L'idée a fait son chemin. Quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit que les deux professions ont beaucoup de points en commun!»

Il est vrai que les deux pratiques renvoient ici à des questions intimes. Les affaires du corps pour l'une; les blessures de l'âme pour l'autre. Endroits discrets, souvent feutrés, un sofa, un lit, un linge...

«Et surtout, souligne la réalisatrice, il y a un échange de service rémunéré. Cet argent, souvent donné en liquide, établit d'entrée de jeu des limites qu'il est interdit de franchir. Tout cela relève d'un service professionnel. Dans les deux cas, il s'agit d'un travail où la personne qui «vend» ses services n'investit pas du tout ses sentiments. Du moins, en principe.»

Le type de prostitution qu'évoque Jeanne Labrune dans son film relève quand même d'une conception très fantasmée. Qui n'a évidemment rien à voir, par exemple, avec le portrait qu'en fait Ève Lamont dans son récent film, L'imposture. La prostituée se transforme plutôt ici en un archétype que véhiculent depuis toujours la littérature et le cinéma. La réalisatrice fait tout de même valoir qu'Alice, personnage qu'interprète Isabelle Huppert, fait écho à une réalité.

«Alice ne fait pas de prostitution de rue. C'est une call-girl indépendante, autonome, qui ne rend de comptes qu'à elle-même. Elle voit aussi un peu son travail comme une actrice, car elle incarne des personnages pour ses clients. Comme elle avance en âge, l'inquiétude s'installe en elle. C'est ce qui la conduit à vouloir trouver une autre voie.»

Un retour

Sans queue ni tête marque le retour au cinéma de Jeanne Labrune après six ans d'absence. D'abord révélée grâce à des films résolument dramatiques (La part de l'autre, De sable et de sang, Sans un cri), l'auteure cinéaste a ensuite adopté une approche plus fantaisiste (Ça ira mieux demain, C'est le bouquet!). Elle estime que ce nouveau film synthétise les deux approches.

«Après Cause toujours!, je me suis consacrée à l'élaboration d'un projet qui ne s'est finalement jamais concrétisé. Je me suis alors lancée dans l'écriture de L'obscur, mon premier roman. Les images littéraires qui me sont venues m'ont ramenée à l'aspect plus sombre de mes premiers films. Sans queue ni tête mêle les deux, dans la mesure où le récit s'appuie sur de vrais troubles intérieurs, tant du côté d'Alice que de celui du psychanalyste qu'interprète Bouli Lanners.»

C'est par ailleurs grâce à un retard dans le tournage du film qu'Isabelle Huppert a pu participer à l'aventure. La célèbre actrice a donné son accord dès la première rencontre.

«J'avais déjà proposé deux rôles importants à Isabelle, mais nous nous étions manquées pour des raisons de disponibilité, rappelle la cinéaste. Je crois que la perspective d'incarner une femme qui tient des rôles pour gagner sa croûte, tout en maintenant sa propre vie à distance, a plu à Isabelle. Elle n'avait jamais joué cela de façon aussi franche. Nous avons aussi travaillé à des choses très concrètes en guise de préparation : les costumes, les perruques, les maquillages, les accessoires. Je la voyais se transformer sous mes yeux. Au moment du tournage, nous avons gardé nos distances, mais nous nous comprenions très bien. Isabelle s'est entièrement mise au service du personnage. Et du film.»

Un débat violent

Au moment de sa sortie en France, l'automne dernier, Sans queue ni tête a été entraîné dans un débat sur la psychanalyse provoqué par la publication du livre incendiaire de Michel Onfray, Le crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne (Éd. Grasset).

«Ce fut très violent, reconnaît Jeanne Labrune. Tout ce débat a fait ressortir des traits dogmatiques et très corporatistes. Certains n'ont vu ce film qu'à travers ce prisme plus réducteur et y sont allés de remarques aberrantes. Fort heureusement, j'ai aussi été bien soutenue. Mais je reste quand même abasourdie quand on critique des choses ou des scènes qui n'existent pas dans le film mais que certaines personnes ont cru voir! Cela dit, j'essaie de construire une oeuvre cohérente, qui peut évidemment être contestée et contestable, mais à travers laquelle je trace mon propre chemin. Je préfère être fidèle à mon désir de cinéma plutôt que d'être trop prudente.»

Sans queue ni tête prend l'affiche le 11 mars.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.