Dimanche prochain, l'industrie du cinéma québécois récompensera les meilleurs films de l'année 2010 à la cérémonie des Jutra. Aucune femme ne figure parmi les cinq cinéastes en nomination pour la meilleure réalisation de l'année. C'est une situation qui reflète bien l'état actuel des choses puisque, sur les 31 films québécois produits en 2010, seulement cinq ont été réalisés par des femmes.

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Peu importe la manière dont on regarde les statistiques, le constat demeure le même: les réalisatrices peinent à se tailler une place et à vivre de leur art.

Dans un rapport rendu public hier par le groupe Réalisatrices équitables et intitulé Encore pionnières: parcours des réalisatrices québécoises en long métrage de fiction, deux sociologues de l'UQAM ont interviewé 20 réalisatrices et cinq réalisateurs afin de mieux comprendre leur parcours professionnel. Leur conclusion est simple: encore aujourd'hui, en 2011, la parole des femmes est marginalisée dans le monde du cinéma.

Quand on regarde tous les films tournés depuis les débuts du cinéma québécois jusqu'en 2007, on ne compte que 100 films réalisés par 48 femmes, sur un total d'environ 700 films. On est loin de l'équité observée dans d'autres sphères de la société.

Les filles sont pourtant aussi présentes que les garçons dans les écoles de cinéma et rêvent, comme leurs confrères, de se frotter à tous les genres cinématographiques. Or, elles se retrouvent la plupart du temps confinées dans la catégorie des films d'auteur à petits budgets, dotés d'une distribution indépendante, voire confidentielle. L'étiquette «film de femme» n'est pas vendeuse...

Plusieurs raisons expliquent que les réalisatrices en arrivent toujours à ce même constat décevant depuis 20 ans: elles sont sous-représentées dans les programmes d'aide, font face à des préjugés tenaces et évoluent souvent à l'extérieur des traditionnels boys clubs. Les institutions hésitent à leur confier des productions à gros budgets. Bien sûr, l'absence de modèles féminins n'arrange rien.

En outre, comme l'a rappelé la sociologue Francine Descarries de l'UQAM, les réalisatrices se heurtent aux mêmes écueils que le reste des travailleuses québécoises quant au partage des tâches et à la conciliation travail-famille. Bref, il ne s'agit pas ici de mauvaise foi, mais bien de problèmes structurels et systémiques.

Mesures incitatives demandées

Que faire pour améliorer la situation des femmes? Faut-il adopter des mesures pour rétablir un certain équilibre comme le font la France, la Belgique et l'Espagne, pour ne nommer que ces pays-là? Les cinéastes présentes hier à la conférence de presse, et qui avaient presque toutes une anecdote à raconter à ce sujet, sont unanimes: oui, il faut adopter des mesures incitatives.

«Même Hollywood est en train de repenser la place qu'on fait aux femmes en cinéma, a souligné la cinéaste Marquise Lepage, également présidente de Réalisatrices équitables. On ne peut pas continuer à gaspiller le talent et l'imaginaire de la moitié de la population.»

Parmi les mesures proposées dans le rapport: encourager la mixité égalitaire comme en Suède, tripler l'aide financière aux films à petit budget, offrir des crédits d'impôt pour les films réalisés par des femmes, créer un Fonds temporaire pour les films de femmes.

La distribution des films aussi est un problème et plusieurs idées ont été avancées pour que les producteurs de cinéma québécois, hommes et femmes, puissent se réapproprier ce secteur.

Bref, ce ne sont ni les solutions ni l'ouverture d'esprit qui manquent, nous a-t-on assuré hier. Autant la ministre de la Culture, Christine St-Pierre, que les institutions semblent reconnaître qu'il faut remédier à cette situation désolante.

Bien sûr, il y a également du travail à faire du côté de l'éducation. «On ne montre même pas les films réalisés par des femmes aux étudiants en cinéma, observe la cinéaste Mireille Dansereau. Il faudrait peut-être commencer par là.»