Un rendez-vous manqué est à l'origine du documentaire Sur les traces de Marguerite Yourcenar qui ouvre ce soir le Festival international du film sur l'art. Marilu Mallet, n'ayant jamais pu rencontrer cette grande dame des lettres qu'elle admirait, s'est lancée à la recherche de ceux qui l'ont bien connue. Avec pour résultat un portrait sensible en forme de road movie sur l'amitié et le voyage.

«Le véritable lieu de naissance est celui où on a posé pour la première fois un coup d'oeil intelligent sur soi-même. Mes premières patries ont été des livres.» Voici l'une des nombreuses et éclairantes citations tirées de l'oeuvre de Marguerite Yourcenar qui ponctuent le documentaire de Marilu Mallet. Reconstitutions poétiques, paysages magnifiques, témoignages de privilégiés et quelques images d'archives forment ce film qui donne le goût du beau, du grand, et de la liberté. «Elle aimait voyager, elle y a pris goût avec son père, explique la réalisatrice. Il ne lui fallait pas seulement lire et écrire, il lui fallait être en contact avec les autres et avec les autres pays. Elle s'imprégnait des lieux pour mieux les connaître. J'ai voulu faire un film impressionniste qui tente de montrer comment elle voyait la beauté du monde.»

Marilu Mallet y a travaillé pendant des années, hypothéquant même sa maison. Depuis son coup de foudre pour les Mémoires d'Hadrien, chef-d'oeuvre de Yourcenar, première femme à être admise à l'Académie française en 1980. Elle a bien essayé dans le passé de contacter l'écrivaine qui habitait dans le Maine, sans succès. À sa mort, Marilu Mallet a commencé une espèce de quête par le voyage, justement en suivant les traces de Yourcenar dans les lieux les plus signifiants de sa vie, comme dans un pèlerinage.

Mais ce qui l'a plus particulièrement marquée est la dimension américaine, voire québécoise, de Yourcenar. «Toute son oeuvre a été écrite en français alors qu'elle habitait le continent américain, note la réalisatrice. Elle avait une relation privilégiée avec le Québec, où elle a donné plusieurs conférences et s'est fait des amis.»

Entre autres, Françoise Faucher et Robert Lalonde - qui lui a consacré un roman, Un jardin entouré de murailles - qu'on peut entendre dans le film. Ou Christian Dumais-Lowski, Montréalais d'origine. D'ailleurs, l'exécuteur testamentaire de Marguerite Yourcenar, Yvon Bernier, est québécois. «J'ai rencontré plusieurs personnes pour trouver qui étaient véritablement ses amis, raconte Marilu Mallet. Quand on est aussi célèbre, on découvre que beaucoup se réclament de cette amitié, et ce n'est pas toujours vrai... Je ne voulais pas que ce soient seulement des spécialistes qui parlent d'elle. Il n'y en a qu'une en fait dans mon film, Catherine Dhavernas, parce qu'elle avait cette théorie originale sur le point de vue américain de Marguerite Yourcenar, c'est-à-dire que son plus grand voyage aura été de s'installer en Amérique. Elle a décidé de s'y enraciner en réinventant l'histoire de l'Occident par le personnage d'Hadrien, le dernier empereur humaniste de l'Empire romain.»

Sérénité

C'est la dimension universelle de l'écrivaine qui fascine la réalisatrice. «Ce qui m'a le plus étonnée, c'est qu'elle a été quelqu'un qui a fait dans sa vie un chemin vers la sérénité. Elle croyait beaucoup dans la philosophie orientale, elle avait un regard très juste sur les choses, très profond, et, en même temps, elle avait ses contradictions. Comme elle le dit, ce n'est pas une «pure intellectuelle», c'est aussi une intuitive, qui était très engagée dans la lutte pour la préservation de la nature.»

Marilu Mallet, qui a déjà présenté ses films Double portrait et Journal de Francine au FIFA, est très heureuse de faire l'ouverture du festival ce soir, peu de temps après le dépôt d'une étude («Encore pionnières») sur la situation précaire des réalisatrices au Québec. D'autant plus qu'il s'agit d'un genre - le documentaire - et d'un sujet - la littérature - qui ne font pas souvent partie des priorités budgétaires, et à ce sujet, elle félicite l'ouverture de son producteur, Michel Ouellette, des productions Sine Qua Non.

«Disons que c'est un petit peu une revanche de pouvoir partager ce sentiment de beauté, qu'on ne valorise pas assez, pas plus que la culture. Moi, je trouve que c'est important de contempler et de voyager, d'apprendre. C'est comme ça qu'on peut évoluer.»

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Sur les traces de Marguerite Yourcenar, de Marilu Mallet. 82 minutes. Présenté ce soir, 20 h, au Musée des beaux-arts, demain, 18 h 30, à la Grande Bibliothèque, lundi, 21 h, au Cinéma ONF et samedi le 26 mars, 21 h, à la Grande Bibliothèque.