Aux noms des nombreuses actrices ayant déjà prêté leurs traits à la célèbre héroïne du roman de Charlotte Brontë, il faut maintenant ajouter celui de Mia Wasikowska, jeune actrice «qui monte» à Hollywood.

Après avoir achevé le tournage d'Alice in Wonderland sous la direction de Tim Burton, Mia Wasikowska est rentrée chez elle, en Australie, pour vivre et se reposer. Parmi ses lectures vacancières, un classique de la littérature anglaise dont elle avait déjà entendu parler, mais auquel elle ne s'était encore jamais attaquée.

«Au cinquième chapitre, ce fut plus fort que moi, a raconté l'actrice au cours d'une rencontre de presse tenue récemment à New York. J'ai tout de suite téléphoné à mon agent, car je voulais savoir si une adaptation de Jane Eyre pour le cinéma figurait dans les plans de quelqu'un, quelque part.»

Il se trouve que le premier roman de Charlotte Brontë, publié en 1847, est probablement l'un des ouvrages ayant fait le plus souvent l'objet d'adaptations depuis l'invention du cinématographe. À ce jour, Jane Eyre a été porté 18 fois au grand écran (la première fois en 1910!); 9 fois au petit. Joan Fontaine, Susannah York et Charlotte Gainsbourg font notamment partie de celles ayant déjà prêté leurs traits à la célèbre héroïne. Dans l'esprit de Mia Wasikowska, jeune actrice de 21 ans, tout ce passé, pourtant, n'existe pas. L'émotion ressentie est celle d'une nouvelle lectrice, vierge de tout ce que charrie déjà Jane Eyre en tant que mythe littéraire.

L'esprit du roman

Forcément, il y avait bel et bien un projet en chantier quelque part. Le réalisateur Cary Joji Fukunaga ironise même un peu quand on lui fait remarquer le nombre d'adaptations déjà existantes. «En effet, je crois qu'il y a obligation de produire une nouvelle version de Jane Eyre tous les cinq ans afin de maintenir une tradition établie depuis le début de l'histoire du cinéma!

«Plus sérieusement, poursuit celui qui fut révélé par l'excellent film Sin Nombre, j'avoue avoir été surpris quand j'ai appris l'existence d'un si grand nombre de films tirés de Jane Eyre. J'en ai vu quelques-uns, bien sûr, dont celui que Robert Stevenson a fait avec Joan Fontaine dans les années 40, mais je ne savais pas qu'il y en avait déjà eu autant.»

Quand il a cherché des endroits de tournage en Angleterre, Fukunaga ne cache pas s'être alors questionné sur la pertinence de créer une nouvelle adaptation du célèbre roman.

«Tu veux être fidèle à l'auteure, mais tu te rends vite compte que tous les endroits visités ont déjà été utilisés dans d'autres adaptations de Jane Eyre! Évidemment, la question, alors, se pose: comment diable parvenir à jeter un regard frais sur une oeuvre aussi connue?»

Le cinéaste a trouvé sa réponse en restant fidèle à l'esprit du roman, tout en faisant écho à la modernité contenue dans le scénario de Moira Buffini (Tamara Drewe).

«L'atmosphère du roman est beaucoup plus sombre que celle qu'on trouve dans la plupart des films qui en ont été tirés, fait-il remarquer. Un peu comme une amorce à l'ère gothique. Par la suite, on a eu tendance à en faire une oeuvre beaucoup plus romanesque au cinéma, un peu à la Jane Austen.»

Une bonne histoire

Pour Mia Wasikowska, la modernité du personnage expliquerait sa pérennité. L'actrice fut en tout cas chavirée par le parcours de cette jeune préceptrice tombant amoureuse de M. Rochester (Michael Fassbender), riche propriétaire de Thornfield Hall, dont elle assure l'éducation de la jeune protégée.

«Parfois, une oeuvre me bouleverse complètement et j'ai immédiatement l'impression de comprendre le personnage, même si sa vie n'a rien à voir avec la mienne, note l'actrice. Dans le cas de Jane Eyre, il faut aussi faire écho à l'état d'esprit de l'époque. La transformation s'opère dès que tu enfiles le costume. Les vêtements ont une influence directe sur la posture de ton corps, sur ta façon de marcher, de parler, de respirer, même.

«À mes yeux, poursuit-elle, Jane Eyre n'est toutefois pas un film à caractère historique au sens où on l'entend habituellement. Il s'agit tout simplement d'une bonne histoire. Et si celle-ci a été racontée autant de fois, c'est peut-être parce qu'elle possède la vertu de refléter aussi l'époque dans laquelle on vit. C'est là où se situent les différences entre toutes ces adaptations, je crois. J'estime que cette version est tout à fait en phase avec notre temps. Et j'espère qu'elle saura séduire les gens de mon âge.»

De son côté, Cary Joji Fukunaga affirme comprendre l'étonnement que suscite sa présence dans ce projet après avoir offert au monde un drame âpre et très contemporain comme Sin Nombre. Mais il y voit néanmoins une logique.

«Mes envies de cinéma ne se limitent pas à un style, dit-il. On m'a évidemment fait plusieurs propositions, la plupart pour des films se déroulant dans les milieux de la drogue latino-américains. Or, rien ne me semblait intéressant. Pourquoi aurais-je envie d'enchaîner avec Sin Nombre 2? Je préfère de loin arriver là où l'on ne m'attend pas.»

Jane Eyre prend l'affiche le 25 mars. Les frais de voyage ont été payés par Alliance Vivafilm (Focus Features).