Après avoir vu Stephen Faulkner en spectacle, Sarah Fortin s'est dit qu'il fallait faire un film sur cet artiste hors norme; six ans et des milliers de kilomètres plus tard, voici J'm'en va r'viendre. Entrevue avec un gars qui n'est jamais parti.

Il a le crâne dégarni, un chat de ruelle dans la gorge, mais la verve intacte. «Je suis peut-être un personnage, comme tu dis, mais je ne joue pas: mon personnage, c'est moi.»

Stephen Faulkner (prononcer Steeven) n'a jamais rien fait pour être mainstream: on l'aurait vu... Il n'est pas carriériste, d'aucuns diraient pas assez, mais il n'a jamais arrêté de chanter depuis que, sous le nom de Cassonade, le Québec vibrant l'a découvert aux côtés du grand Plume Latraverse. C'était dans le temps des grands rendez-vous fleurdelisés. Oui, Stephen Faulkner a bien 35 ans de carrière derrière la cravate. Et au moins autant de verres de brandy ont passé par le même chemin.

Il y a eu quelques grandes années et beaucoup de petites, la norme qui l'a fait vivre avec moins de 20 000$, ce dont il ne s'est jamais plaint parce que les chiffres, dont il n'a que faire de toute façon, n'empêchent en rien le plaisir: «Je suis chialeux, mais pas plaignard», nous dira-t-il entre une cigarette et une séance photographique, dans un café du Village. Non, le «cowboy de ville», bottes noires et chapeau blanc, ne part pas pour Brokeback Mountain...

Un soir qu'il racontait, devant 35 personnes, ses malheurs hétérocycliques - «P'us de blonde, p'us d'appart'« - sur la petite scène du Verre bouteille, la jeune cinéaste Sarah Fortin (Synthétiseur, Huguette Uguay, etc.) a été conquise par cette «bête». «Je connaissais ses chansons par mes parents, mais je n'avais pas saisi l'ampleur du personnage, raconte par ailleurs la jeune femme. Sur un coup de tête, je suis allée le voir et je lui ai dit: «Je veux faire un film sur vous.»» Il m'a dit: «Fais ça vite parce que je vais arrêter.»»

Stephen Faulkner allait avoir 51 ans; il en aura 57 à l'été. L'écriture et le financement ont pris du temps et le tournage, de Gaspé à Rouyn-Noranda, en a pris autant. Le processus documentaire est affaire de patience, qualité d'autant plus importante si vous travaillez avec une personnalité comme Stephen Faulkner. «L'écouter pendant cinq ans, ça demande de l'énergie et de l'abnégation, confirme Sarah Fortin, mais c'est un homme tellement attachant.» Attachant et, en même temps, dur avec ceux qui s'intéressent à lui: «Il pousse parfois les gens à l'abandonner.»

Mais Sarah Fortin est faite solide, comme «Cass» l'a vu quand il lui a fait des «suggestions» de montage: «Il ne contrôlait pas la démarche et ça l'inquiétait.» Carl Prévost aussi est fait fort. Le leader du band country Mountain Daisies, à un certain moment, a proposé ses services à l'auteur de Si j'avais un char: le film commence avec leur rencontre. Toutefois, la demande pour Stephen Faulkner n'est pas forte, surtout avec orchestre - pedal steel guitar, guitare, basse, batterie: avec Cass à la guitare électrique, ça roule! Mais rien d'étonnant à ce qu'il n'y ait pas de (gros) contrat: le gars n'a pas fait de disque depuis sept ans et il a vendu «1250 copies» du dernier, fait avec La Tribu de Claude Larivée qu'il a quittée depuis.

Faudrait un nouveau disque pour ramener le nom de Stephen Faulkner à l'avant-scène. Le film montre l'auteur-compositeur - bien qu'il compose d'abord et écrive ensuite - avec ses feuilles raturées: ça ne sort pas. Les musiciens sont prêts à attendre leur cachet qui viendrait éventuellement, mais Carl Prévost trouve que le créateur n'est «pas motivé», parfois même «paresseux». Pas le docu classique, J'm'en va r'viendre...

En entrevue, l'interpelé n'essaye pas de se sauver: «J'ai toujours fait à ma tête de cochon et ça m'a nui à l'occasion.»

- Dans le film, tu dis «I don't give a shit!» Tu t'en fous vraiment? Tu veux arrêter?

- Non. J'ai dit ça un soir de déprime. Je suis content qu'il y ait des jeunes qui s'intéressent à moi et à ma musique. Je veux faire d'autres disques. C'est ça ma vie, qu'est-ce que tu veux que je te dise?

Le disque viendra, on est nombreux à le souhaiter; d'ailleurs le titre est déjà trouvé: Désintoxédo. Entre-temps, il y a ce film qui nous montre l'artiste total dans toute sa force et dans toute sa fragilité en même temps: sans compromis nulle part. L'homme aussi, chum d'un bord, père de deux enfants de l'autre, à qui il lèguera - rien qui presse - ses Félix: un pour William, un pour Alice.

Un film sur lui, oui, Stephen Faulkner, qui n'en voyait pas d'abord la raison, mais qui a plongé parce que, à un moment donné, «il faut se laisser aimer».