Surnommés The Bang Bang Club, ils étaient quatre photographes travaillant dans les townships sud-africains déchirés par les guerres intestines alors qu’allaient se tenir les premières élections libres postapartheid, en 1994. L’acteur canadien Taylor Kitsch incarne l’un d’entre eux dans le premier long métrage de Steven Silver. Discussion à propos d’une profession qui fait des vagues.

Les images valent mille mots. Si le métier de certains est d’écrire les mille mots en question, celui des photographes de guerre est d’appuyer sur le déclencheur au bon moment. Et de tout dire en un clic. Steven Silver raconte cela dans The Bang Bang Club, drame biographique qui se fait d’autant plus d’actualité en ces jours suivant la mort, en Libye, des photographes Tim Hetherington (aussi coréalisateur du documentaire Restrepo) et Chris Hondros.

«Le travail de ces gars, sur le front, est important, essentiel même. On peut le voir encore avec ce qui se passe au Moyen-Orient, ils font connaître au monde entier de vrais événements, des pages d’histoire. On ne peut pas comparer ça avec ce que font les paparazzi», a assuré Taylor Kitsch lors d’une entrevue téléphonique accordée à La Presse avant que ne surviennent les événements de Misrata.
 
L’acteur canadien, que l’on a vu dans X-Men Origins: Wolverine de Gavin Hood et que l’on verra l’an prochain dans Battleship de Peter Berg, sait de quoi il parle: d’un côté, il est de plus en plus «victime» des paparazzi; de l’autre, il incarne Kevin Carter dans The Bang Bang Club, du surnom finalement donné à un quatuor de photographes – ils devaient au départ être qualifiés de Bang Bang Paparazzi – qui ont suivi, sur le terrain, les dernières années de l’apartheid. Leur travail a été particulièrement remarqué et remarquable en 1994, lors des guerres intestines qui ont déchiré les townships au moment des premières élections libres d’Afrique du Sud.

Kevin Carter, lui, s’est aussi fait connaître par cette photo d’une fillette soudanaise affamée, qu’un vautour «surveille». Un cliché qui lui a valu le prix Pulitzer en 1994. Quelques mois plus tard, il s’enlevait la vie. Certains ont affirmé que la controverse entourant cette photo (le véritable vautour n’était-il pas le photographe, qui avait observé sans rien faire?) n’était pas étrangère à son suicide. Bien des proches de Carter ont affirmé qu’il n’en était rien. Taylor Kitsch, qui en a rencontré plusieurs (dont les deux membres survivants du Bang Bang Club), abonde.

«C’est un débat sans fin, que celui-là. Une chose est sûre, il y a plusieurs manières d’aider et je sais, de façon certaine, que Kevin a aidé. Pensez à l’impact qu’a eu cette photo. Elle a permis de ramasser des millions de dollars», poursuit l’acteur avant de rappeler que «sur le terrain, les gens ont des rôles différents à jouer. Se mettre à jouer le rôle d’un autre peut mettre des vies en danger. Vous avez à connaître vos responsabilités – et vos limites. De toute manière, ceux qui jugent peuvent se demander comment ils réagiraient, eux, sur place. Personne ne peut savoir.»

C’est sur un ton posé que le comédien qui vient d’avoir 30 ans évoque la vie de celui qu’il a incarné pendant le tournage – en compagnie de Ryan Phillippe, Frank Rautenbach et Neels Van Jaarsveld qui interprètent les trois autres membres du «Club»; et de Malin Akerman, qui campe leur éditrice. Tournage en Afrique du Sud, dans les townships où se sont déroulés les événements relatés dans le long métrage. «Un privilège, d’être là. Les lieux deviennent ainsi un personnage.»

Tout comme, d’une manière plus modeste, les appareils photo que manient les acteurs – peu habitués, en cette ère du numérique, à utiliser de telles «antiquités». «Avant de partir pour l’Afrique du Sud, j’ai pris des milliers de clichés avec un appareil identique à celui que Kevin utilisait. Et pendant le tournage, nous prenions vraiment des photos et nous changions réellement de pellicule quand il le fallait. C’était essentiel: ces gars-là ont de l’amour pour leur équipement, il fallait qu’on le sente.»

Et dans ses mots à lui, on sent combien il lui était important de rendre justice à celui qu’il incarne à l’écran. «C’est une responsabilité, de jouer quelqu’un qui a vécu. Une grande responsabilité. C’est une des choses qui m’ont poussé vers ce projet. J’ai aimé le scénario, mais aussi l’idée de toucher à autre chose. Après Wolverine, c’était toute une transition. Un défi et un rêve à la fois, que de me glisser dans la peau de quelqu’un d’aussi troublé. Plus j’ai fait de recherches sur Kevin, plus j’ai parlé de lui avec les gens qui l’ont connu, plus j’ai découvert de couches à jouer. Et en tant qu’acteur, on ne peut pas demander mieux.» Deux heures pour «dire» une vie, un homme – comme d’autres ont un clic pour «dire» mille mots.

The Bang Bang Club prend l’affiche le 6 mai.