Daniel Bélanger, Jorane, Catherine Major, Dumas, etc. Il suffit de jeter un coup d'oeil aux gagnants du Jutra pour la meilleure musique originale depuis 10 ans pour constater que de plus en plus d'artistes populaires signent la bande originale d'un film. Quelles sont les causes techniques et esthétiques de cette tendance qui est loin de se limiter au Québec?

The Chemical Brothers signe la bande originale du film Hanna, présentement à l'affiche, alors que Trent Reznor de Nine Inch Nails a gagné un Oscar pour celle de The Social Network. Ce n'est pas qu'à Hollywood que de plus en plus de réalisateurs confient la musique de leur long métrage à des artistespopulaires. Au Québec, Patrick Watson l'a fait pour C'est pas moi, je le jure!, Malajube pour The Trotsky, Pierre Lapointe pour Le vendeur, Karkwa pour Bull's Eye. Un peintre à l'affût et Martin Léon est présentement en studio pour le prochain film de Philippe Falardeau, Bashir Lazar.

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« Je trouve ça rafraîchissant que les producteurs élargissent leurs horizons», dit Philippe Aubert-Messier, alias Phil Electric, copropriétaire des studios Apollo, dont l'équipe compose des musiques originales et supervise la directionmusicale de films ou de séries télé (choix des chansons, libération de droits). Philippe Aubert-Messier cite en exemple la bande originale de Wu-Tang Clan du film de Jim Jarmush Ghost Dog : The Way Of The Samurai, ou celle de Mark Mothersbaugh du groupe Devo pour The Life Aquatic With Steve Zissou, réalisé par Wes Anderson.

«Pour des films comme ça, si tu avais confié la musique à un compositeur classique, tu aurais perdu une touche, dit le superviseur musical. Ça donne une couleur au film.» D'avoir le nom de Daft Punk sur l'affiche de Tron : Legacy, n'est-ce pas également un bon coup de marketing? «Il y a de mauvaises langues qui disent que c'est pour se servir de la notoriété de l'artiste. Mais selon moi, c'est une volonté du réalisateur d'avoir une vision artistique particulière qu'un compositeur qui fait des films en série n'a pas nécessairement», dit Philippe Aubert-Messier «Il peut y avoir une plusvalue de marketing. Mais en ce qui me concerne, je suis toujours plus touché par une musique de film qui peut exister en soi. En faisant appel à un auteur compositeur, je lui demande de regarder la scène et de penser à quelque chose qu'il aime», indique le réalisateur Philippe Falardeau, dont Patrick Watson a signé la musique de C'est pas moi, je le jure ! et qui a confié à Martin Léon celle de son prochain film, Bashir Lazar. «Je n'aime pas quand la musique est subordonnée au film, quand la musique dit ce que l'image dit, explique Falardeau. Patrick, j'aimais beaucoup sa musique et je savais qu'il allait faire une musique personnelle.»

Pour Bashir Lazar dont l'histoire s'articule autour d'un Algérien qui débarque au Québec , le réalisateur voulait une musique classique et non « ethnique ». Martin Léon a donc fignolé des airs au piano et au célesta, bricolés avec des extraits de Scarlatti et de Mozart. «Je n'ai pas le vocabulaire pour dire ce que je veux. Martin a été extrêmement bon. Il a su décoder ce que je voulais dire.»

«L'intuition.» C'est pourquoi Sébastien Pilote a pour sa part demandé à Pierre Lapointe et Philippe Brault de faire la musique de son premier long métrage, Le vendeur. «Je cherchais une musique minimale avec une redondance, un peu comme des petites gouttes d'eau. Je n'avais pas besoin d'une musique mur à mur qui vient appuyer tout le dramatique», explique le réalisateur, qui vante le talent de «mélodiste » de Pierre Lapointe et le don de Philippe Brault pour les arrangements, mais aussi leur intérêt généralisé pour les arts.

Moins de préalables techniques

«Il y a 10 ou 15 ans, synchroniser l'image et le son, ce n'était pas si simple, rappelle Clovis Gouailler, professeur à l'UQAM au diplôme d'études supérieures spécialisées de musique de film. C'était un métier à apprendre et c'était autre chose que d'écrire des notes.» Au fil du temps, les conditions de synchronisation et l'équipement nécessaire se sont modernisés, simplifiant les préalables et le savoir-faire technique du métier. Il fut un temps où la musique s'enregistrait devant le film projeté sur pellicule, sur des bandes perforées puis analogiques.

Aujourd'hui, plus besoin d'être dans un studio aux infrastructures coûteuses: un logiciel ProTools suffit pour le faire dans le confort de son foyer. «Comme tout s'est informatisé et que les coûts de production ont diminué, ça ouvre le champ à tous et ça démocratise le métier.» Il y a aussi un choix «esthétique « des réalisateurs, ajoute Clovis Gouailler. «Ils veulent quelque chose de culturellement proche de ce qu'ils sont et de ce qu'ils veulent faire (...). Il y a l'envie de se détacher du système classique des studios hollywoodiens qui ont longtemps perpétré une esthétique dominante orchestrale.» Les James Horner (Titanic), John Williams (Star Wars), Danny Elfman (fidèle collaborateur de Tim Burton) et Ennio Morricone (Once Upon a Time in the West) sont de cette tradition classique. Une tradition coûteuse qui d'un imposant orchestre pour l'enregistrement de la bande originale en studio. «Aujourd'hui, il y a une tendance à épurer l'instrumentation «, note Clovis Gouailler.

Un métier en soi

Ce dernier défend toutefois le métier de compositeur de film des Richard Grégoire, Michel Cusson, Normand Corbeil et Simon Leclerc. « Tout le monde peut apprendre à écrire des notes, mais c'est autre chose de bien percevoir la trame narrative d'un film. Les compositeurs expérimentés saisissent bien le langage cinématographique.» « La musique de film, c'est une musique de commande, indique-t-il. Il faut une grande capacité de production dans plusieurs genres différents. Il faut être autonome, être capable de se faire dire non et saisir immédiatement la palette que veut le réalisateur. Cet apprentissage-là peut faire la différence dans un film.»

«C'est difficile de passer sa commande, de décrire à quelqu'un ce qu'on veut «, souligne dans le même sens le réalisateur Sébastien Pilote. Selon lui, c'est «plus difficile « de travailler avec un artiste populaire plutôt qu'avec un compositeur, mais le jeu en vaut la chandelle. «À tort ou à raison, cela peut être risqué, dit aussi Philippe Aubert-Messier. Quand les artistes n'en ont jamais fait, c'est un défi. Trent Reznor, ce n'est pas pour rien qu'il n'a pas fait The Social Network tout seul (il était assisté d'Atticus Ross). «

Martin Léon (Le journal d'Aurélie Laflamme), dont le cheminement universitaire l'a mené dans un stage à Sienne en composition de musique de film avec le maître Ennio Morricone, souligne qu'il est préférable d'avoir une formation en orchestration et arrangements. «La chanson et la musique de film, c'est deux métiers différents, mais qui se rejoignent tellement, dit-il. Il y a des auteurs-compositeurs qui ont un gros ego. Quand tu fais de la musique de film, ce n'est pas toi le boss. « Mais parfois, les divergences peuvent porter ses fruits... Lors de la scène de pendaison qui ouvre C'est pas moi, je le jure !, Philippe Falardeau ne voulait pas de musique initialement.

Patrick Watson ne l'a pas écouté et il a composé un air, qui a convaincu le réalisateur. « Il m'a fait comprendre qu'il fallait montrer dès le départ que l'humour et le drame se côtoient dans le film, explique Philippe Falardeau. Moi, je ne suis pas musicien. Je parle à quelqu'un qui sait quelque chose que je ne sais pas.» À chacun son métier, donc.