Deux des quatre réalisatrices inscrites dans la compétition officielle ont ouvert le bal, hier, avec des propositions fortes, originales, même parfois dérangeantes. We Need to Talk About Kevin et Sleeping Beauty n'ont toutefois pas fait l'unanimité sur la Croisette.

L'auteure cinéaste écossaise Lynne Ramsey s'était distinguée il y a une douzaine d'années grâce à son premier long métrage, Ratcatcher. We Need to Talk About Kevin, son premier film depuis Morven Callar, sorti en 2002, était d'autant plus attendu sur la Croisette qu'il s'agit ici de l'adaptation du roman à succès de Lionel Shriver.

«Je dirais plutôt que ce film est inspiré du roman», a tenu à préciser Tilda Swinton, vedette du film et aussi productrice déléguée. L'actrice, toujours excellente, se glisse dans la peau d'une mère pour qui la communication avec son fils n'a jamais pu s'établir sur les bases habituelles. Le récit relate en flashsbacks toute la dynamique familiale depuis l'arrivée de Kevin il y a 16 ans, en établissant dès le départ un climat de tension.

Aujourd'hui agressée dans la rue par des passants, Eva porte sur ses épaules la responsabilité des crimes de son fils. Qui, devine-t-on, a commis des actes dramatiques, calqués sur tous les massacres ayant marqué le monde scolaire nord-américain au cours des récentes années. On pense à Polytechnique bien sûr. À Columbine aussi. Et combien d'autres.

Donner la vie à un meurtrier

«Quand un jeune homme se révèle violent, c'est souvent la mère qui est blâmée, fait remarquer Tilda Swinton. Cette notion est tellement ancrée dans notre esprit qu'Eva se convainc elle-même de sa responsabilité. Je crois que ce film est assez radical en ce qu'il suggère. Il fait écho au pire cauchemar d'une femme, c'est-à-dire donner la vie à quelqu'un qui deviendra un meurtrier. Il arpente aussi des territoires que personne n'ose explorer: la propre violence d'une femme découvrant en elle l'existence d'une zone sombre, où l'on préfère généralement ne pas aller.»

Très accompli sur le plan esthétique, We Need to Talk About Kevin s'attarde ainsi au monde intérieur d'une femme qui, depuis la naissance de son fils, ne sait comment gérer les signaux plus inquiétants que ce dernier lui envoie. Interprété à l'adolescence par Ezra Miller, Kevin devient aussi un habile manipulateur, particulièrement en créant une fausse complicité avec son père (John C. Reilly), une bonne pâte qui n'y voit évidemment que du feu.

«Il est plutôt rare qu'on traite dans un film du concept des rôles que chacun peut jouer au sein d'une famille, indique l'actrice. Comme s'il s'agissait de camper des personnages.»

Si on peut parfois regretter les effets un peu appuyés qu'emprunte Lynne Ramsay, il reste que We Need to Talk About Kevin est un drame fort et troublant. Chez nos amis américains, certains évoquaient déjà même des possibilités pour la prochaine course aux Oscars, surtout grâce à la performance de Tilda Swinton. Cette dernière ne cachait pas son bonheur d'avoir eu à interpréter un personnage tout en intériorité.

«Les mots compliquent souvent les choses au cinéma. J'ai d'ailleurs le sentiment que le cinéma décline depuis l'arrivée du parlant!»

L'endormie endormante

Il y aurait eu un bon film à tirer de l'idée qu'a eue la réalisatrice australienne Julia Leigh pour son premier long métrage ,Sleeping Beauty. Pour arrondir ses fins de mois, une jeune femme aux études répond à une petite annonce où l'on recrute de belles jeunes filles. Elle tombe dans un étrange réseau, tenue par une femme de classe, où les jeunes femmes sont droguées et endormies pendant que de vieux hommes, qui ne veulent plus être vus dans leur condition de personne âgée, assouvissent leurs besoins sensuels. Malheureusement, Julia Leigh passera outre aux motivations des personnages, et ne saura trop non plus où mener son récit. L'approche très clinique, très froide, aura aussi tôt fait de distiller l'ennui. Aussi, l'absence de réel point de vue sur cette histoire se révèle pour le moins étonnante.