Le cinéaste italien Nanni Moretti a séduit la Croisette avec une comédie moqueuse et tendre, dans laquelle on visite les coulisses du Vatican...

Un conclave. Des cardinaux doivent élire un nouveau pape. On dirait une classe d'écoliers. Ils regardent tous du coin de l'oeil ce qu'écrit leur voisin afin de copier. Chacun prie aussi intérieurement pour que, grâce à Dieu peut-être, la fonction de chef de l'Église catholique lui échappe. Personne ne veut de cette responsabilité. La fumée noire apparaît plusieurs fois. Puis, sans que rien ne puisse le laisser deviner, les électeurs se mettent à voter en bloc pour le cardinal Melville. La fumée blanche s'élève enfin. Quelques secondes avant son apparition au balcon pour adresser la parole aux fidèles massés sur la place Saint-Pierre, un cri d'horreur retentit. Le nouveau pape, paralysé par une crise de panique, ne peut pas. Et il repart en courant.

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À défaut d'être profond, Habemus Papam, le nouveau film de Nanni Moretti, est très amusant. Parfois même touchant. D'autant plus que l'auteur cinéaste italien, qui cosigne cette fois son scénario avec Francesco Piccolo et Federica Pontremoli, joue lui-même le rôle d'un psychanalyste appelé à la rescousse par le Vatican afin de tenter d'apaiser les angoisses de Sa Sainteté. L'incertitude règne sur le monde catholique pendant que le nouveau pape, magnifiquement campé par Michel Piccoli, décide de fuguer et d'aller faire un tour en ville, incognito.

Moretti, lauréat de la Palme d'or grâce à La chambre du fils il y a 10 ans, surprend le spectateur en proposant une comédie dramatique évidemment moqueuse, mais quand même très tendre. Plutôt qu'une charge à fond de train sur une institution ternie par de multiples scandales, Moretti préfère ici ramener l'Église à hauteur d'homme.

«Il était entendu que plusieurs s'attendaient à ce que je dénonce les travers de l'Église dans mon film, a expliqué hier l'auteur cinéaste au cours d'une conférence de presse. Or, j'ai préféré arriver là où l'on ne m'attendait pas. Je ne voulais pas donner au public ce qu'il attendait de moi, ni réitérer ce qu'il sait déjà à propos des histoires de pédophilie ou de scandales financiers. Il me semblait plus intéressant d'offrir une vision inédite, de ne pas me laisser conduire par l'actualité.»

Athée notoire, Moretti affirme s'être senti complètement libre pour élaborer sa vision. Les autorités ecclésiastiques ne lui ont pas mis de bâtons dans les roues, mais ne l'ont pas soutenu non plus.

«Nous avons recréé le Vatican dans des endroits déjà existants, mais aussi en studio, fait-il remarquer. Il m'importait de montrer un Vatican plus sobre que celui qu'on nous montre habituellement afin de l'humaniser un peu. Certains m'ont reproché de ne pas avoir mis de foi dans mon film. C'est normal, il n'y en a pas. Buñuel a dit que grâce à Dieu, il était athée. Je ne suis pas tout à fait d'accord, car personnellement, je suis désolé de ne pas croire.»

Un rôle facile!

Habemus Papam est marqué par la performance remarquable de Michel Piccoli. L'acteur français, qui a été bien servi par le cinéma italien au cours de sa carrière (Le saut dans le vide de Marco Bellocchio lui a en outre valu un prix d'interprétation à Cannes en 1980), n'a pas hésité une seconde avant d'enfiler la robe du Saint-Père.

«Je connais bien les films de Nanni Moretti, a-t-il déclaré. Je n'ai pas eu à réfléchir. J'ai dit oui tout de suite. Mais pas lui! Il m'a demandé de faire un essai et ce n'est que quelques jours plus tard qu'il m'a annoncé que j'avais le rôle. Pour moi, ce fut un tournage très intense, mais très calme. Ce fut même très facile à vrai dire. Pour Nanni, sûrement moins. Et pour être profondément honnête, je pourrais dire que ça suffit maintenant. Tourner avec Nanni Moretti et finir après, c'est parfait», a-t-il ajouté en évoquant peut-être une retraite prochaine.

Disant être très docile de nature, et très attentif, Michel Piccoli a suivi à la lettre les indications de Nanni Moretti, notamment à propos du cri que le nouveau pape pousse dans son moment de panique.

«C'est le cri de terreur que pousse un homme devant un événement exceptionnel qui bouleverse sa vie, explique l'acteur. Un cri qui ne veut rien dire et tout dire à la fois. Une façon d'exprimer l'impuissance. Qui tient aussi lieu de réponse quand l'angoisse devient impossible à verbaliser. Mais techniquement, pousser un tel cri est quand même relativement facile!»

«Michel a été encore mieux que je n'aurais pu l'imaginer, a ajouté Nanni Moretti. Il était déjà formidable sur le plateau, mais c'est à l'étape du montage que je me suis aperçu à quel point, cet acteur est grand. Sans lui, le film aurait été beaucoup plus triste.»