Réunir des artistes pour leur faire témoigner à leur façon de la vie d'un endroit. L'idée n'est pas neuve et, pour cette raison, force un cinéaste à faire preuve d'originalité. À la fois lointain écho et hommage au film À St-Henri, le 5 septembre, d'Hubert Aquin, le second documentaire de Shannon Walsh revisite ce quartier montréalais.

Un mois avant le référendum du 30 octobre 1995, Shannon Walsh quitte sa ville natale de London, en Ontario, pour s'installer dans le quartier Saint-Henri et entreprendre un baccalauréat en photographie et littérature à l'Université Concordia.

Après le choc vient la séduction. Elle qui, à l'époque, est unilingue anglophone, est impressionnée par ces graffitis réclamant un pays ou proposant (le mot est faible) aux anglos de retourner chez eux. Mais elle retient plutôt la richesse, l'humanité et le charmant éclectisme de ce quartier montréalais.

Ses longues études (elle détient un doctorat de McGill) lui permettent en parallèle de décortiquer la culture québécoise dont elle s'est éprise.

L'an dernier, 15 ans après le référendum, Shannon Walsh a recruté 16 cinéastes d'ici et leur a proposé de tourner des séquences sur la vie du quartier Saint-Henri. Le tout en une seule période de 24 heures coïncidant avec la rentrée scolaire.

Le résultat, À St-Henri, le 26 août, est évidemment un hommage et un écho au film À St-Henri, le 5 septembre qu'Hubert Aquin avait orchestré avec les Jacques Godbout, Fernand Dansereau, Claude Jutra, Monique Bosco, Guy Borremans et autres Michel Brault de ce monde en 1962.

«En utilisant la même approche de cinéma-vérité, j'ai voulu voir comment une population vit sur le territoire. Quels sont ses actes? Ses modes d'expression? Y a-t-il un réel vivre ensemble? Et jusqu'où va la solidarité d'une communauté?» dit la cinéaste en entrevue.

À travers un grand collage d'images tournées au cours de cette journée, le spectateur est amené à rencontrer quelques habitants ou acteurs de Saint-Henri et à partager des parcelles de leur quotidien. Ici, le propriétaire asiatique d'un dépanneur et sa clientèle bigarrée. Là, une dame vivant de l'aide sociale qui arrondit ses fins de mois en écumant les poubelles à la recherche de bouteilles et de canettes consignées. Plus loin, le propriétaire d'un garage qui ne jure que par son Île-des-Soeurs chérie, où il a hâte de décamper après sa journée de travail.

Coproduit par l'ONF, le documentaire a cette belle qualité de nous montrer qu'en ce début de XXIe siècle, le quartier s'est, à l'image du Québec, ouvert à l'immigration. Il s'est aussi embourgeoisé, comme le suggèrent certains propos. Mais point de témoignage de nanti ici.

N'empêche. La mosaïque demeure colorée, vivante, mâtinée de culture populaire.

«Je suis amoureux de la culture québécoise et j'ai voulu lui rendre hommage ici, assure Shannon Walsh. C'est un coup de chapeau que je le donne.»

Et qu'est-ce qui caractérise cette culture? Une volonté d'effort collectif, répond-elle. «Cela manque en Amérique du Nord, dit la cinéaste. J'aime aussi l'aspect poétique de cette culture, sa façon d'aborder différents thèmes, souvent profonds, dans des angles à la fois populaires et intellectuels.»

Tatouage industriel

Appuyé par une trame sonore originale signée Patrick Watson, le film nous ramène souvent vers trois «personnages» incontournables du quartier: l'échangeur Turcot, le canal de Lachine et la voie ferrée du CN. Autant de «tatouages industriels», pour reprendre l'expression de Shannon Walsh, qui viennent nous rappeler les années de gloire de ce secteur mal-aimé de la ville.

«Il est impossible de détacher un quartier de son imaginaire», dit-elle à ce propos.

Les images se caractérisent par leur aspect délavé, un peu surexposé. En postproduction, la cinéaste a utilisé une technique cinématographique appelée «traitement sans blanchiment» (bleach bypass), dont le côté légèrement fantomatique évoque l'idée d'un territoire coincé entre son passé plus glorieux et son avenir incertain.

Tout cela n'est pas fortuit. «Nous aurions pu faire un film en noir et blanc, mais je trouvais que ça lui donnait un aspect trop nostalgique. Et cela nous renvoyait trop directement au film d'Hubert Aquin», suggère la cinéaste. Par contre, le traitement de l'image est le même du premier au dernier plan, une façon de dire qu'ici, tous sont égaux.

Après St-Henri, Shannon Walsh a l'intention de répéter l'expérience à deux reprises ailleurs dans le monde. Elle s'est récemment établie à Durban, en Afrique du Sud, pour le second volet de sa trilogie. Par la suite, elle espère tourner à Dubaï. D'une fois à l'autre, elle vise une constante: capter la vie d'un quartier populaire, dense, animé. «Je veux continuer à filmer dans des quartiers où il y a des contradictions urbaines», résume-t-elle.

À St-Henri, le 26 août sera présenté au cinéma Parallèle dès vendredi prochain.