Même si les frères Dardenne ont présenté hier un excellent opus, c'est quand même un film muet tourné en noir et blanc, directement inspiré des productions hollywoodiennes des années 20, qui a attiré l'attention.

Le caractère événementiel d'un film surgit parfois de manière inattendue. De la même manière que Maïwenn a retenu vendredi l'attention médiatique grâce à son remarquable film Polisse (un peu aux dépens de Nanni Moretti), il n'y en avait hier pratiquement que pour The Artist, un film muet en noir et blanc, aussi délicieux qu'anachronique. Du coup, Le gamin au vélo, l'excellent film des frères Dardenne, est un peu passé sous le radar. La constance dont font preuve les frangins belges dans leur cinéma reste néanmoins admirable. Membres du très sélect club des doubles palmés d'or (Rosetta en 1999 et L'enfant en 2005), les Dardenne sont cette année en lice pour un troisième laurier.

The Artist, film français tourné à Hollywood, a toutefois charmé les festivaliers de toutes origines, particulièrement les Américains. Harvey Weinstein, tête dirigeante d'une entreprise de distribution dont les films sont relayés chez nous par Alliance Vivafilm, compterait même mener une campagne «agressive» pour mener le film de Michel Hazanavicius jusqu'aux Oscars l'an prochain. Dans toutes les catégories, rien de moins.

Il est vrai que la réussite du film est à la hauteur du pari - très casse-gueule - que s'est lancé le réalisateur des comédies OSS 117. Campé à la fin des années 20 à Hollywood, le récit s'attarde à décrire le parcours d'une star du cinéma muet (Jean Dujardin) qui sombrera dans l'oubli presque du jour au lendemain quand arriveront les films parlants.

«Ce film est né d'une envie de faire purement du cinéma, a expliqué hier Michel Hazanavicius au cours d'une conférence de presse. Les cinéastes que j'admire proviennent presque tous de l'époque du muet. J'ai plongé sans savoir si j'étais capable de tenir ce pari ou pas. À l'époque où l'histoire est campée, le cinéma était encore très jeune. Il y avait de ma part une réelle volonté d'éviter le pastiche. Comme un film populaire qu'on aborde au premier degré. De là découlent tous mes choix de mise en scène.»

Ayant beaucoup galéré avant de trouver un producteur acceptant de financer ce film singulier dont la forme défie toutes les normes commerciales du moment, Hazanavicius affirme ne pas s'être inspiré de titres en particulier. Mais il a quand même truffé son film de références qu'apprécieront les amateurs de ce cinéma d'une autre époque.

«Il y a parfois de la citation, parfois de l'hommage, parfois du vol aussi!», prévient-il.

Remarquable dans son rôle de héros du cinéma muet, Jean Dujardin, tout comme sa partenaire de jeu Bérénice Bejo, a dû suivre un entraînement de plusieurs mois afin de travailler la pantomime et la danse à claquettes. «C'est très amusant, même si on peut s'en fatiguer très vite, a déclaré l'acteur. Mais nous tenions, Bérénice et moi, à ne pas être doublés. Le tournage a d'ailleurs été un moment incroyable, particulièrement le plan séquence de la fin.»

D'abord sélectionné hors concours, The Artist a finalement été invité à se joindre à la compétition à la dernière minute. Le producteur Thomas Langmann ne connaît pas les raisons ayant mené la direction du Festival à prendre cette décision.

«C'est ce qui fait la grandeur du Festival de Cannes, a-t-il souligné. Thierry Frémaux et Gilles Jacob ne rendent de comptes à personne. Nous étions déjà hyper heureux d'avoir été sélectionnés hors concours alors là, vous pouvez imaginer!»

La belle continuité

Jean-Pierre et Luc Dardenne possèdent un don exceptionnel pour révéler des «natures» à l'écran. Thomas Doret, protagoniste du Gamin au vélo, est remarquable dans la peau d'un garçon d'une douzaine d'années, placé dans un foyer depuis que son père (Jérémie Rénier) ne peut plus s'occuper de lui. Une jeune femme tenant un salon de coiffure accepte de l'accueillir chez elle le week-end.

«Nous avons pensé très vite à Cécile de France pour tenir le rôle car elle possède une présence lumineuse évidente, expliquent les réalisateurs. Samantha, c'est l'amour, mais c'est aussi l'apprentissage du monde pour Cyril. Avec toutes les désillusions qui marqueront le chemin.»

Pour faire écho à sa vision, le tandem a beaucoup travaillé en amont avec les acteurs. Il y a eu beaucoup de répétitions. Sur le tournage, les Dardenne n'hésitent pas non plus à faire rejouer les scènes plusieurs fois.

«Pour moi, il s'agit d'un rêve un peu inaccessible qui vient de se réaliser, ajoute Cécile de France, compatriote des cinéastes. Jean-Pierre et Luc n'embauchent habituellement jamais d'actrices connues. Un trésor de pouvoir travailler sous la direction de tels cinéastes. Un enrichissement professionnel et humain très intense.»

Sous la forme d'un conte réaliste, Le gamin au vélo s'inscrit ainsi dans la belle continuité de l'oeuvre des Dardenne. Cela dit, ce film comporte un aspect solaire plutôt inédit dans leur cinéma.

«Il n'y a aucun psychologisme dans ce film, précise Luc Dardenne. Cécile a cette faculté d'imposer le personnage tout de suite, sans qu'on se demande quelles sont ses motivations. C'était important.»

Les cinéastes sont admiratifs de Truffaut, bien sûr (Les 400 coups, L'enfant sauvage), mais évoquent aussi L'enfance nue de Maurice Pialat.

«Ces films vivent à l'intérieur de nous, mais ils ne nous ont pas inspirés directement. En fait, l'idée du Gamin au vélo est venue d'une histoire qu'on nous a racontée au Japon, celle d'un gamin qui, pendant des années, a attendu des nouvelles de son père à l'orphelinat. En le déposant, son père lui avait dit qu'il reviendrait. Il n'est jamais revenu.»