Jean Leloup le rockeur se fait réalisateur le temps d'un second long métrage, Karaoké Dream, présenté en grande première, demain soir au festival Fantasia. Autoproduit, coscénarisé, filmé et réalisé par Leloup - qui s'accorde aussi un petit rôle, celui d'un dénommé Dr. Johnny Welltipper -, ce film est un long trip d'acide improvisé et instinctif. Tout ce qu'est son auteur, en somme, que nous avons rencontré sur le campus de l'Université Concordia, quartier général de Fantasia.

Presque toute sa tribu est avec lui à l'entrevue: acteurs, membres du groupe The Last Assassins, le gars du son Pierre-Carl, la « garde du corps «. On se dirige vers la terrasse à l'arrière du pavillon pour réaliser l'entrevue et ouvrir une bouteille de rouge, histoire de célébrer la sortie de cet ovni cinématographique, dont plusieurs images ont été recyclées du film Ice Cream que Leloup avait présenté au Festival du nouveau cinéma en 2007.

Sébastien Arribas, qui tient le rôle du jeune humilié par sa mère (Violette Chauveau) et maltraité par les autres, traîne derrière le troupeau puisqu'il porte, en plus de ses sacs, une grande affiche de ce film tourné tantôt au Viêtnam, tantôt au Japon, tantôt en Thaïlande. Leloup s'emballe alors : il cherche le meilleur mur pour poser l'affiche.

Ici? «Non», répond l'attaché de presse. «Pas sur les portes d'entrée de la salle de projection...» Leloup dénichera un gros babillard sur roulettes, qu'il ira sans doute installer devant l'entrée principale du pavillon de l'université. «C'est la plus belle affiche de film au monde! «, lâche-t-il.

Euphorique, le Wolf. L'équipe, amusée et costumée, participe aussi gaiement à l'opération de promotion. Tous, sauf un des acteurs principaux, Huy Phong Doan, qui râle sous sa perruque et ses lunettes teintées de bleu: «Je pensais que je partais en vacances au Viêtnam, et il m'a fait travailler!», feint-il de dénoncer. «Je pensais que je lui racontais ma vie, et il me l'a volée pour faire son film. Et je n'ai pas été payé - bon, mon voyage a été payé... Mais je me suis fait enculer!» Les autres trublions rigolent autour de lui.

L'histoire de sa vie? Mais quelle est l'histoire de ce film, au juste? Leloup: «Ben... C'est l'histoire d'un gars seul, un pédophile, qui attend dans un bordel un peu glauque... Mais c'est un endroit qui n'existe pas: un bordel onirique. En fait, le film, c'est plein de symboles, un espèce de mélange de fantasmes, avec le travesti [Huy Phong Doan], la fille [Esther Gaudette] qui était une actrice dans les années 20 et qu'on voit faire de la prostitution dans ce bordel qui est dans la tête du gars, et on ne sait plus qui est qui... «

O.K., stop. Tentons plutôt nous-mêmes de décrire Karaoké Dreams. Confus serait le premier qualificatif approprié. On note la présence d'une trame narrative dès les premières minutes, mais il y a tellement d'ellipses dans le récit qu'on se demande qui fait quoi dans cet enchaînement de scènes picturales aux couleurs saturées. Le film, au scénario largement improvisé pendant le tournage, se termine dans un bain de sang.

The Last Assassins

Heureusement, la poétesse et chanteuse Virginia Tangvald, membre en règle du projet The Last Assassins qui signe la musique du film, a une meilleure lecture de ces 75 minutes de délire vidéo.

«Le point le plus important de ce film, c'est que, vu qu'à peu près tout a été improvisé, Jean a trouvé l'histoire après avoir regardé les images qu'il avait filmées, plutôt que d'imposer un message. Lorsque tu écris un scénario, c'est plus fort que toi, il y a une certaine morale que tu injectes à l'histoire. Karaoké Dream, c'est un film sans morale, un film qui part de l'inconscient, une grosse psychose. Il y a quelque chose de vrai qui se dégage de ces images-là», explique-t-elle.

«On fait des trucs, on tripe, ajoute Jean Leloup. Ce n'est pas du cinéma de répertoire, ce n'est rien de ça: il y a une espèce de prétention du cinéma de répertoire, ça s'adresse à un auditoire restreint, blabla... Quand c'est bon, c'est bon!» Le film sera distribué, assure-t-il, et connaîtra une vie en salle (aucune sortie officielle n'a encore été confirmée).

La musique, elle, vivra sans doute. «The Last Assassins est né de la nécessité de mettre de la musique sur les images, indique le rockeur-réalisateur. On pensait juste mettre quelques pistes, puis on a jammé, jammé, jammé...» Virginia précise: «Ce n'est pas un groupe comme tel; c'est plus un projet, un collectif. On ne sait pas ce que sera la suite, sinon qu'il y aura l'album et les concerts. Pour le premier spectacle du 23 [septembre, à l'affiche de Pop Montréal], on a déjà commencé à répéter. Je crois qu'on aimerait bien pouvoir projeter des images du film, mais ça reste à voir. J'imagine que des chansons de Jean Leloup seront aussi au programme...»

J'aurais bien voulu le confirmer avec le principal intéressé, mais, comme le photographe était arrivé, Leloup avait enfilé son veston mauve et faisait les cent pas sur la terrasse, occupé à coordonner les prises de photos.

Karaoké Dream est présenté demain au Théâtre Hall, 23h30, dans le cadre de Fantasia.