Depuis 35 ans, elle dirige le Festival des films du monde aux côtés de Serge Losique. On dit souvent qu'elle est la vraie patronne du festival.

Son titre officiel: directrice générale du Festival des films du monde de Montréal. Depuis 35 ans, elle est le «bras droit» de Serge Losique. Elle connaît tous les rouages de son festival, l'envers comme l'endroit, le bas comme le haut. D'aucuns disent que la vraie patronne du FFM, c'est elle. Une personnalité de feu, une rigueur, une exigence. Dans ses apparitions publiques tout autant que dans les lettres ouvertes qu'elle écrit parfois, son sens assassin de la réplique est légendaire.

Au moment où Serge Losique a eu l'idée de doter Montréal d'un grand festival de cinéma, Danièle Cauchard s'occupait de la programmation du Conservatoire d'art cinématographique de Montréal. Déjà rompue à l'exercice de la négociation et du transport des copies 35 mm, la jeune femme fut naturellement recrutée par le président pour orchestrer le nouvel événement à ses côtés.

«Le contexte n'était pas du tout le même, rappelle la directrice au cours d'une entrevue accordée cette semaine à La Presse. En 1976, l'année des Jeux Olympiques, Montréal rayonnait grandement sur le plan international. Il n'était pas évident de lancer un nouveau festival, mais grâce aux contacts qu'avait Serge, souvent des gens qui pouvaient en persuader d'autres de venir, nous avons pu tirer notre épingle du jeu.»

À l'époque, le circuit des festivals de cinéma était beaucoup moins encombré. Cannes trônait bien entendu au sommet. Berlin avait aussi son importance, mais les deux plus importants «rivaux» du FFM aujourd'hui n'étaient pas vraiment dans le décor. Créé l'année précédente, le «Festival of Festivals» de Toronto se concentrait sur le cinéma anglo-saxon et avait peu d'écho sur le plan international. De son côté, la Mostra de Venise traversait l'une des périodes les plus creuses de son histoire.

Une nouvelle réalité

Trente-cinq ans plus tard, le FM évolue dans une autre réalité, mais Danièle Cauchard ne se laisse pas démonter pour autant.

«Par la force des choses, nous avons dû nous définir différemment, explique-t-elle. Cela n'est pas uniquement dû à la multiplication des festivals. Le monde de la distribution s'est aussi profondément transformé. Au début, nous faisions affaire avec une vingtaine de distributeurs québécois qui, tous, étaient entièrement libres de leurs choix. Aujourd'hui, il n'en reste que quelques-uns. Bien souvent, ils ont les mains liées et doivent se soumettre aux décisions d'un distributeur américain. Aussi, j'ai l'impression que le monde est plus soumis au star system hollywoodien qu'il ne l'a jamais été. La notoriété - même pour les étrangers - passe désormais par la reconnaissance américaine. C'est un peu regrettable.»

À cette perte d'influence de la distribution s'ajoute l'attrait qu'exerce le Festival de Toronto depuis plusieurs années auprès des intervenants de l'industrie, notamment les Français. «Bien sûr, ils entretiennent cette fascination pour l'Amérique et le fantasme d'une distribution sur le territoire nord-américain, reconnaît-elle. Nous n'y pouvons pas grand-chose. Ce qui nous distingue, nous, c'est d'offrir aux cinéphiles montréalais un panorama mondial. C'est la meilleure chose qu'on puisse faire. Et c'est très intéressant.»

La directrice ne tient par ailleurs pas rigueur aux cinéastes que le FFM a révélés (Xavier Beauvois, Alexander Payne, et plusieurs autres) qui vont ensuite faire les beaux jours des autres festivals avec leurs films subséquents.

«Cela ne me frustre pas du tout, d'autant que d'autres nouveaux noms arrivent. Nous avons toujours été sensibles aux nouveaux talents, notamment par l'entremise du Festival du cinéma étudiant. Nous laissons aussi une grande place aux cinéastes de la relève. Maintenant, il faut bien comprendre que tout cela relève de décisions d'affaires dans lesquelles les cinéastes, contrairement à une certaine époque, n'ont pas leur mot à dire. Une fois terminé, leur film devient un produit. C'est même souvent le vendeur qui décide où il aboutit!»

Le refus de la nostalgie

Si plusieurs observateurs estiment que le FFM a perdu de son lustre depuis une quinzaine d'années - neuf primeurs québécoises à Toronto le mois prochain contre deux au FFM -, Danièle Cauchard estime que l'événement montréalais parvient malgré tout à se démarquer avantageusement. Et refuse d'ailleurs tout sentiment nostalgique à cet égard. Et préfère évoquer chaque programmation annuelle comme le montage d'une nouvelle production. Un cinéaste a rarement la nostalgie de ses films précédents.

«En fait, je peux éprouver davantage de nostalgie pour une époque où la présentation d'un film revêtait un caractère événementiel, confie-t-elle. Et où il fallait se déplacer pour aller le voir. En même temps, je trouve formidable qu'un film de Mizoguchi puisse être maintenant accessible partout grâce au DVD.»

Ayant à sa tête les mêmes personnes depuis maintenant 35 ans, le FFM compte dans ses rangs la plus ancienne équipe en poste sur le circuit des grands festivals de cinéma. Aucun passage de relais ne semble prévu à brève échéance.

«Pour passer les rênes, il faudrait d'abord trouver quelqu'un ayant envie d'assumer la fonction, explique la directrice. C'est loin d'être évident. Il y a quelques années, des amateurs sont allés chercher quelqu'un à l'étranger pour diriger un festival montréalais. On a vu ce que ça a donné.»

Et toc.