Lorsque Rachel Mwanza a eu 15 ans, mardi dernier, l'équipe du film Rebelle, en tournage au Congo, lui a fait une fête.

Moment de joie mérité pour cette adolescente qui défend depuis des semaines le rôle principal de Komona, enfant-soldate sur la voie de la rédemption.

Le travail de Rachel éberlue chaque jour le réalisateur Kim Nguyen. «Deux minutes avant une prise, elle se fait des grimaces devant un miroir. Puis elle pleure sur commande dans une scène difficile, lance-t-il, admiratif. Je suis sidéré par ce qu'elle peut livrer. Elle n'a jamais lu le scénario et elle est sensible à toutes ses nuances. Elle a un sens du rythme et de la gestuelle.»

Rachel est une enfant de la rue. «Lorsque mes parents ont divorcé, mon père est parti vivre dans une lointaine province du Congo, raconte la jeune femme. Puis, il y a eu de graves problèmes dans la famille et ma mère est partie en Angola.»

Après avoir vécu un moment avec sa grand-mère, elle a trouvé protection auprès d'un caïd de son quartier. L'an dernier, deux producteurs et réalisateurs l'ont dénichée sur un coin de rue alors qu'ils cherchaient des enfants pour le tournage d'une docufiction belge. Elle y a joué une musicienne. Lorsque l'équipe québécoise et congolaise de Rebelle s'est mise à la recherche de talents locaux, son nom a été évoqué.

«Avec ce tournage, j'ai compris que je peux jouer plusieurs rôles. J'aimerais avoir la chance de faire une carrière d'actrice, jouer ici comme ailleurs», dit Rachel, qui sera prise en charge par des gens de confiance recrutés par l'équipe du film une fois le tournage terminé.

Serge le magicien

Le Congolais Serge Kanyinda, 18 ans, qui joue Le magicien, enfant-soldat épris de Komona, a lui aussi le souhait de faire carrière. «Si des projets se présentent, je suis là. Que l'on m'appelle», lance avec fierté celui que tout le monde nomme Eminem.

Ce jeune homme a du bagou. Albinos, il a les oreilles percées de pierres couleur émeraude. Dans son cou, des écouteurs voisinent un gris-gris. Son regard est frondeur.

Son acteur préféré? «Jackie Chan! J'aime les films d'action.»

Troisième d'une famille de 11 enfants, Eminem a surpris la maisonnée en annonçant qu'il avait décroché un rôle. «Ma mère me disait "As-tu déjà fait ça?" Je lui ai dit de me faire confiance. Aujourd'hui, elle est très fière de moi.»

La distribution de Rebelle comptera 34 Congolais, tous des acteurs non professionnels. Et pourtant, les membres québécois de l'équipe (ils sont 28) vous diront que les Congolais sont des acteurs nés. Des blagueurs. Des négociateurs. Mais aussi des gens qui ont souffert de décennies de dictature et de guerre. Cela se reflète dans le tournage de scènes difficiles.

Ainsi, Kim Nguyen qui a décidé de tourner son film en continuité sans faire lire le scénario aux jeunes acteurs, question de conserver leur spontanéité, lance «Les scènes d'enlèvement sont d'une violence troublante. Et ça marche! En planifiant davantage, je ne crois pas que cela aurait donné un tel effet.»

Dans une scène de combat, des enfants tirent à la Kalachnikov. Cette scène a fortement marqué Eminen. «Je tirais et je criais. Ce cri sortait tellement fort au fond de moi», dit-il, étonné.

Aux acteurs locaux, il faut ajouter près de 1 300 figurants. Les Congolais occupent aussi une cinquantaine de postes à la technique et 35 sont chauffeurs.

Plusieurs techniciens sont des réalisateurs qui tentent de créer une industrie cinématographique congolaise. Des producteurs sont aussi dans le décor.

Un exemple parmi bien d'autres, Kiripi Katembo a été embauché comme assistant au directeur artistique, Emmanuel Fréchette. Kiripi est photographe et cinéaste d'art. Sa principale préoccupation l'environnement. Ses photos, prises à partir de crevasses remplies d'eau sale dans les rues de la capitale, donnent un reflet brutal des problèmes de pollution.

Kiripi et son collègue Patrick Ken Kalala, qui a aussi décroché un poste d'assistant, faisaient partie d'un quatuor de jeunes réalisateurs congolais invités à présenter des courts métrages à la Berlinale en 2010.

L'avenir du cinéma au Congo? «On y croit et on s'y met», lance Ken Kalala.

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Projeter rebelle au Congo


Mardi soir dernier, Kim Nguyen a présenté son film La cité à l'équipe de Rebelle, en tournage à Kinshasa. Nguyen n'a pas dû chercher longtemps un endroit de projection il n'y a qu'une seule salle de cinéma à Kinshasa, une ville de plus de 10 millions d'habitants! La salle est petite, quelques dizaines de places tout au plus. Pourra-t-on un jour y présenter Rebelle? Voilà un beau défi que Pierre Even, coproducteur et propriétaire de la boîte Item 7, aimerait relever. «Nous aimerions ça, lance-t-il. C'est sûr que nous voudrions le faire voir, au moins aux gens qui y ont travaillé.» Pour ce tournage, Item 7 s'est associée à des partenaires locaux, dont les producteurs R.V. Créatifs associés et la Banque internationale pour l'Afrique au Congo. Une autre bonne raison de revenir présenter le film, croit M. Even. Outre leur salle de cinéma, les Kinois peuvent voir des longs métrages sur un des grands murs de la place de l'Onatra, où des écrans géants ont  été installés.

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Les frais de ce reportage ont été payés par Métropole Films.