Les films de bandits titillent le côté obscur de nos personnalités. Existe-t-il meilleur exemple que celui-là pour illustrer l'art de vivre par procuration? Mieux vaut en rester là, d'ailleurs. Car dans La run, il n'y a rien, mais vraiment rien de drôle dans le travail de distributeur de drogue.

S'il ne pouvait utiliser qu'un seul mot pour résumer son film La run, qui sort en salle aujourd'hui après son lancement au FFM où il est inscrit en compétition mondiale, le réalisateur Demian Fuica dirait «jalousie».

«On a donné beaucoup d'indications, comme la bande-annonce ou l'affiche, envoyant le message que c'est un film de drogue. Mais la drogue est accessoire, dit-il. La vraie histoire est celle de la jalousie d'un distributeur qui n'accepte pas d'être dépassé par une recrue.»

La recrue, c'est Guillaume (Jason Roy Léveillée), jeune homme «clean» qui vient d'une famille pauvre, éclatée mais aimante. Employé dans un centre de distribution de pièces d'automobiles, il s'emmerde et gagne un salaire de misère.

Un jour, Guillaume surprend son père Michel (Paul Dion) au bord de l'abîme, ce dernier étant incapable de rembourser un prêt usuraire. Guillaume prend la charge de la dette à honorer en 40 jours. Pour ce faire, il s'associe avec son meilleur ami, Manu (Marc Beaupré), dans une route de distribution de drogue. Une route de plus en plus périlleuse, tracée par Rivière (Nicolas Canuel) et sur laquelle Guillaume croise Boutch (Pierre-Luc Brillant), revendeur en mal d'avancement.

«Je n'ai pas hésité à accepter ce personnage du fait qu'on m'offrait de faire quelque chose de différent, dit Jason Roy Léveillée, mieux connu pour ses rôles de bon garçon (Lance et compte, Watatatow). D'autant plus que, sans aller jusqu'à dire que je connais ce milieu, il y a malheureusement des gens de mon entourage qui y ont sombré.»

Le comédien de 27 ans se garde sagement d'en dire plus sur le sujet. Mais il affirme que le fait de s'enfoncer dans un tel bourbier peut arriver à n'importe qui, même aux enfants de bonne famille. De là cette définition du personnage un peu naïf et au grand coeur qu'il campe.

«Dans le scénario d'origine, Guillaume était presque invincible, fort et plus cru, dit-il. On a ajouté un côté naïf. Il faut être conscient que ce n'est pas un beau milieu. On ne peut pas se dire: Je vais faire de l'argent et puis partir. C'est bien rare qu'on s'en sorte, peu importe que l'on consomme ou pas. Il n'y a rien de bon pour ta vie là-dedans.»

Le producteur Leonardo Fuica, à qui l'on doit l'idée originale, affirme que l'histoire est nourrie d'une expérience personnelle. Un jeune homme qu'il connaissait, étudiant en ingénierie, a été arrêté et emprisonné pour revente de drogues. «Je me suis demandé comment un gars comme lui avait pu agir ainsi. Jamais je ne l'aurais soupçonné de quoi que ce soit.»

En poussant ses recherches, il a constaté que beaucoup de gens tâtent des actes illégaux pour boucler leurs fins de mois ou deviennent accros aux drogues. «Le film est violent, mais au fond, je n'ai pas été tant attiré par la violence que par le pourquoi de celle-ci», assure-t-il.

Le comédien Nicolas Canuel tient sensiblement le même discours. «J'espère que ce film va envoyer le bon message et être entendu chez les adolescents, dit ce père de deux enfants. C'est un bon signal d'alarme.»

Canuel a adoré défendre ce personnage de Rivière qui, en dépit de ses activités condamnables, a une éthique de travail et respecte les associés qui marchent droit. «Rivière a une force tacite, une autorité incarnée qui n'a pas besoin d'être démontrée, souligne-t-il. Souvent, dans les films de gangsters, les méchants ont besoin de démontrer leur autorité alors qu'ici, Rivière n'est pas identifiable socialement. Il a l'air d'un bon gars, gentil. Un homme d'affaires qui réussit dans la vie. Il a deux couleurs, ce qui le rend très intéressant.»

Au début de sa carrière, Canuel jouait plutôt des rôles de bon gars. Jusqu'au tournage du film Sur le seuil, où il a incarné le père Pivot, un prêtre frappé par le Mal. «Ça a marqué l'esprit de réalisateurs et d'agents de distribution. J'étais capable d'être un gars avec un passé douteux et une charge émotive différente», dit celui qui, par la suite, a été le «bad guy» dans des productions telles que Le dernier tunnel, Ma fille, mon ange et La rage de l'ange.

En dépit d'un long parcours chaotique dans sa genèse, La run participera à un second festival, à Angoulême, en France, cette fois dès cette semaine. La rumeur dit que le film a été vendu dans quatre pays, ce que refuse de confirmer Leonardo Fuica. Mais il trépigne. «J'aurai bientôt de belles nouvelles à annoncer, lance-t-il. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a même des intérêts au Sud.»

La run sort en salle aujourd'hui.