Si ce n'est pour évoquer la Grande Noirceur ou quelque scandale récemment déterré, on ne fait plus grand cas des gens d'Église. Micheline Lanctôt, toujours un peu en marge, propose quelques réflexions sur la foi. La foi en l'amour, celui porté au divin, celui porté à quelqu'un. Pour l'amour de Dieu est essentiellement un film sur le coup de foudre.

Fortement inspirée par un souvenir intime aussi lointain que tenace, Lanctôt relate ici, par le détour de la fiction, un épisode de sa vie qui l'aura profondément marquée: son premier coup de foudre, nécessairement intense, d'autant plus que l'objet de son attirance était un jeune père dominicain d'origine portugaise. Elle avait 11 ans. C'était en 1958, soit quelques saisons avant la Révolution tranquille.

«Ce souvenir est toujours resté en moi et m'a toujours intriguée, explique Lanctôt. Quand j'y repense, je vois comme des clichés, des images d'adoration. Je me revois enfant, béate, les yeux levés vers cet homme en soutane blanche. Je ne choisis pas mes sujets; ils m'arrivent dans le front. C'est tellement long, faire un film! Si je n'avais pas le sentiment que j'avais vraiment quelque chose à raconter, je ne pense pas que je passerais à travers le processus.»

Par un heureux concours de circonstances, Lanctôt a réussi à retracer le père Joao, qu'elle a revu il y a quelques années. Il ne se souvenait plus d'elle, mais elle est sortie émue et grisée de cette rencontre: «Je ne pouvais pas garder cette histoire-là pour moi, il fallait que je la partage.» Dans le film, la jeune Micheline s'appelle Léonie (Ariane Legault) et le père Joao devient le père Malachy (Victor Trelles Turgeon).

Pour l'amour de Dieu puise dans ce souvenir pour raconter l'histoire, inventée, d'un amour sacrilège unissant père Malachy à soeur Cécile (Madeleine Péloquin), jeune enseignante à Saint-Nom-de-Marie, et à Léonie, la jeune élève. Naîtra ainsi un triangle amoureux, tissé de secrets et de mensonges. Un rectangle amoureux, dirons-nous, car les personnages s'en remettront tous à Jésus, ultime objet d'amour (oui, le Christ y apparaît, sous les traits de Rossif Sutherland, fils de Donald).

Amour pour amour, les deux mystiques choisiront le douloureux renoncement au plaisir de la chair. Léonie, l'âge venant, deviendra une femme tout à fait de son temps, jusqu'à ce qu'elle reçoive, 50 ans plus tard, un étrange colis qui la fera plonger dans sa mémoire.

Engagement et dévotion

Madeleine Péloquin a fréquenté le pensionnat Saint-Nom-de-Marie et a gardé d'excellents souvenirs de son séjour. Comme Lanctôt, elle considère les religieuses avec admiration: «Mais mon personnage est une femme avant d'être une religieuse, précise l'actrice. Une femme qui apprend à vivre avec ses paradoxes et ses contradictions. Malgré la lourde robe, le corps existe encore, avec ses désirs, ses désillusions, ses combats intérieurs. Soeur Cécile a choisi d'entrer dans les ordres; elle n'est pas en prison. Mais elle est, comme Léonie, envahie par des sentiments qu'elle ne connaît pas. Et comme tout être humain, elle a besoin d'être elle-même à travers tout ce qui la trouble. Elle n'est pas entrée en religion pour être tranquille; c'est une vocation qui exige des deuils et un grand engagement.»

C'est justement l'engagement solide, déterminé, voire obstiné, de Malachy qui aura intéressé Victor Trelles Turgeon, jeune acteur qui fait ses dents à interpréter le rôle délicat du prêtre amoureux: «J'aime ces personnages tourmentés, déchirés, et le film aborde des choses qui me tiennent à coeur: l'engagement, tenir parole, garder la foi en ce qu'on croit, être conséquent sans être aveugle pour autant. En fait, Malachy n'a jamais renoncé à son amour pour Cécile, ni à sa dévotion religieuse, convaincu qu'ils se retrouveront dans l'au-delà.»

Loin de régler quelque compte avec les gens d'Église qui ont traversé le paysage de son enfance, Lanctôt rend hommage, sans tomber dans l'apologie lénifiante, à ces âmes généreuses et dévouées. «Je dois beaucoup aux soeurs, dit-elle. Je leur dois mon savoir, ma culture, mon amour du théâtre, du dessin, de la musique. Elles étaient féministes avant les féministes, elles nous poussaient vers les études supérieures. Au Québec, on a réagi avec une extrême violence contre le clergé. On a tout mis dans le même sac; on a confondu spiritualité et religion. Les diktats de l'Église, c'est l'aspect le plus encombrant et perverti. Mais on perd beaucoup en perdant le réconfort de la prière, quelle qu'elle soit. Et c'est un constat de réhabilitation qu'on devra faire bientôt, si on peut sortir de cette colère. On va devoir rééquilibrer la vision qu'on a des communautés religieuses et leur redonner le crédit pour tout ce qu'elles ont fait.»