Les studios Warner soulignent le 70e anniversaire du célèbre film d'Orson Welles, Citizen Kane, avec le lancement d'un coffret souvenir -en vente le 13 septembre- qui comprend la version Blu-ray du film, un documentaire, des entrevues inédites et un album de photos. Le tout dans un magnifique écrin orné d'un bouton de rose, rappel du mot fétiche du citoyen Kane.

Citizen Kane. Le film d'Orson Welles arbore depuis 70 ans, ou presque, le titre de meilleur film de tous les temps. Or, certains cinéphiles d'aujourd'hui n'ont pas nécessairement vu ce chef-d'oeuvre réalisé en 1941. D'autres avouent ne pas comprendre son importance. Y aurait-il accumulation de poussière sur ce champion incontesté et, apparemment, incontestable?

«Citizen Kane reste le meilleur film du XXe siècle. Pour le XXIe, on verra, répond prudemment l'expert David Worth. Dans mes cours, j'explique toujours aux jeunes que les innovations, la technologie d'aujourd'hui, l'internet, les réseaux sociaux, tout cela n'existerait pas sans des films comme Citizen Kane et les avancées de l'industrie cinématographique».

Auteur de Citizen Kane Crash Course in Cinematography, M. Worth rappelle que le film n'a pas connu un succès immédiat en 1941. Après son échec au box-office, Citizen Kane a dû attendre sur les tablettes des défunts studios RKO une bonne quinzaine d'années avant d'être «redécouvert» par les critiques new-yorkais, puis par les Français des Cahiers du cinéma.

«En 1941, dit-il, on n'avait jamais rien vu de tel que Citizen Kane, autant sur le plan technique que narratif. Il faudra attendre la fin des années 50 pour voir survenir des changements aussi significatifs dans la façon de faire des films et de raconter des histoires. Kane marque un moment historique, comme l'ont fait Intolerance de D.W. Griffith en 1916 et 2001, l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick en 1968. Il faut voir ces films en ayant cela en tête.»

La liste des trouvailles de Citizen Kane reste inégalée. On doit à Welles le récit en forme de flash-backs, les faux raccords, le grattage de pellicule (une technique qui fera la gloire du Canadien Norman McLaren), le montage, la caméra à l'épaule (qui sera la marque de commerce de la Nouvelle vague française), l'arrêt sur image, et surtout la profondeur de champ, qui permet de voir aussi clairement ce qui se passe au premier plan et à l'arrière-plan, et les contre-plongées, élément dramatique rendu possible par la position de la caméra, placée dans une trappe du plancher.

Rencontre déterminante

Toutes ces innovations sont le fruit d'une rencontre entre deux génies dans leur domaine respectif, Orson Welles et Greg Toland, son caméraman. À la fois réalisateur et directeur photo, David Worth est bien placé pour saisir l'importance de cette alliance déterminante.

«Welles aimait dire qu'il a tout appris de la technique cinématographique en une demi-heure avec Toland. Je crois plutôt que cela s'est déroulé pendant une fin de semaine bien arrosée!», rigole-t-il.

Selon lui, Welles a laissé l'essentiel de la technique à Toland, déjà expérimenté et débordant d'initiative, tandis que le directeur photo avait trouvé en Welles un réalisateur enfin prêt à prendre beaucoup de risques au sein d'une industrie hollywoodienne déjà florissante.

«Toland représentait le meilleur choix possible pour Welles, qui était néanmoins un génie. N'oublions pas qu'il avait réalisé une fiction radiophonique qui avait fait croire à des milliers d'Américains que la terre était attaquée par des Martiens en 1938.»

Les copains d'abord

Une autre des «conditions gagnantes» pour la réussite du film demeure le fait qu'Orson Welles a créé Citizen Kane en famille. Dans leur premier rôle au cinéma, la majorité des acteurs travaillaient dans sa troupe du Mercury Theatre. Certains, comme Joseph Cotten, Everett Sloane, Ray Collins et George Coulouris, malgré une carrière bien remplie, ne brilleront jamais plus à l'écran comme ils l'ont fait dans Citizen Kane.

«Et que dire des maquillages! , ajoute M. Worth. Les personnages sont tous vus à plusieurs étapes de leur vie dans le film et Welles, dans le rôle de Kane, est aussi crédible, bien qu'il ait eu 25 ans, dans la peau d'un homme d'âge mûr que dans celle d'un vieillard.»

On y trouve aussi la toute première trame musicale, tantôt mystérieuse, tantôt énergique de Bernard Hermann, qui deviendra par la suite le compositeur attitré d'un certain Alfred Hitchcock. Un autre génie, estime David Worth. Quand on lui demande s'il existe des cinéastes contemporains dont le premier film fait, un tant soit peu, penser à la maîtrise atteinte par Citizen Kane, il cite Neil Labute pour In the Company of Men et le Suédois Thomas Winterberg pour Festen.

«Aucun des deux, insiste-t-il, n'a jamais atteint son plein potentiel en tant que cinéaste. Leur premier film respectif présentait des éclairs de génie, mais un chef-d'oeuvre absolu comme Citizen Kane, ça n'arrive pas tous les jours.»

À PROPOS DE CITIZEN KANE ET DE WELLES

Ils ont dit...

Martin Scorsese, cinéaste

«Orson Welles a inspiré tant de gens à devenir cinéastes, plus que quiconque dans l'histoire du cinéma.»

Roger Ebert, critique

«Soixante-dix ans plus tard, cette réussite phénoménale reste aussi fraîche, provocatrice, divertissante, drôle et triste que jamais.»

Arthur Knight, historien

«Plus par inspiration que par imitation, le film d'Orson Welles a changé à jamais l'image du cinéma américain, mais aussi du cinéma international.»

Peter Bogdanovich, cinéaste

«J'avais 16 ans quand je l'ai vu. J'en avais vu d'autres auparavant, mais c'est la première fois que je sentais qu'on pouvait vraiment «réaliser» un film. C'est là que j'ai compris le concept de cinéaste.»

Robert Wise, cinéaste et monteur de Citizen Kane

«Il (Orson Welles) n'avait que 25 ans lorsqu'il a tourné Citizen Kane et cela justifie, à mes yeux, tous les hommages et reste une preuve indéniable de son talent.»

À lire: Citizen Hearst